Anne-Marie Durou

par Sandra Métaux
février 2018

L’ art-design des sculptures-objets d’Anne-Marie Durou

Décrire le travail d’Anne-Marie Durou suppose de trouver les mots ou plus exactement de construire des phrases capables d’évoquer tout à la fois les contraires et les compléments, d’exprimer le vide, le creux par les bords et la structure, d’agencer le mou avec du dur, d’ajuster des limites formelles à l’infini espace, de suggérer la profondeur par la surface. 
Ce qui frappe au premier échange, c’est sa volonté inquiète de vouloir embrasser le monde et d’exprimer simultanément ses contradictions. Elle prend d’ailleurs soin d’écrire et surligner tous les éléments importants de son travail à me communiquer, m’invitant à dérouler le fil d’une création prolixe et protéiforme.


Les desseins d’Anne-Marie Durou

Ni chronologiques, ni thématiques, les propositions d’Anne-Marie Durou plongent leurs racines dans la patiente recherche d’un équilibre entre matière, structure et forme. 
Chacune d’elles est un organisme vivant doté d’un squelette et d’une peau oscillant entre les radiolaires d’Ernst Haeckel et les structures primaires de William Tucker1; à mi-chemin entre les lustres de Constant Roux et les fauteuils de Robert Stadler, Charlotte Kingsnorth ou Gaetano Pesce.
C’est que Anne-Marie Durou se pose en artiste-designer. Le dessin occupe une place importante, autant dans le processus de création de ses sculptures-objets que comme souvenir.
De ses Memento Mori (1), on ne sait s’ils participent de l’invention ou s’ils en conservent la trace. Leur jeu des formes et des lignes font écho aux dessins de Ronan Bouroullec qu’il qualifie de « formes de divagation ». Des divagations maîtrisées, un travail minutieux et précis du trait dynamique, incrusté dans les tissus et sur la peau, comme dans ses pyrogravures sur cuir où la motilité cellulaire compose avec la trajectoire de lignes géométriques souvent décrites comme logotypales, à la façon de El Lissitsky.
Tel le designer, Anne-Marie Durou cherche « l’éditeur » qui lui permet de donner vie à son projet. L’œuvre est le résultat d’une collaboration entre le créateur et les artisans capables de la réaliser au plus près de son intention, de la couturière à l’orfèvre, en passant par l’entrepreneur capable de graver le Corian. 


Biomorphisme et structures architecturales

Le vivant et le liquide, loin de se répandre, s’accommodent d’une structure solide comme la série des Ingénues, non dénuée d’humour, ou des Hydres et Mâches dont la justesse formelle et la liberté d’usage évoquent encore le travail des frères Bouroullec. 
Il y a une constance chez Anne-Marie Durou à vouloir exprimer le mouvement et la transformation permanente tout en cherchant l’essence de ces mutations dans la forme. 
Cette recherche prend corps dans ses amulettes syncrétiques, synthèse de formes primitives éditées comme des objets-étalon, des prototypes du designer. 
Les Mercurielles sont à la fois la synthèse et le point de départ de son travail. L’ADN de sculptures relevant simultanément du biomorphisme et de structures architecturales.

La Mercurielle Vita Nova synthétise dans sa forme les explorations plastiques de l’artiste et ses déclinaisons de la peau de Virginie, des mange-cramaille et Phantoms of Paradise, aux cuirs d’Ici la Terre ou Marche Franco-Lunaire, et aux veines multicolores ; jusqu’au point d’orgue de sa REMENTA – raie manta : une Vita Nova de papier incarnée dans le Corian, ondoyante, élevée et silencieuse, juste dans la nef de la justice et étalonnée dans l’or.

Et elle rêve, Anne-Marie Durou, pour ses autres Mercurielles : Emblème et Figure blanche, formes archaïques et primitives, un devenir monumental et fantastique…



Note :

1. Référence à l’exposition Primary Structure à laquelle participe William Tucker et en particulier aux sculptures Meru (1964) et Unflod (1963) (Primary Structures :Younger American and British Sculptors. Du 27 avril au12 juin 1966. Commissariat: Kynaston Mcshine. The Jewis Museum, New York).

Biographie de l'auteur·e

Sandra Métaux est responsable pédagogique du site de formation de l'ESPE des Landes où elle enseigne en Master la didactique des arts plastiques et visuels. Elle participe également à la formation en Design de l'IUT de Mont-de-Marsan.Docteure en esthétique et théorie de l'art, après sa thèse effectuée en Italie, elle devient membre associée du laboratoire MICA de l’Université Bordeaux Montaigne. Ses recherches portent principalement sur les liens entre éthique et esthétique dans le champ de l’art et du design.

ANNE-MARIE DUROU, VITA NOVA BLANCHE II, 2012
Corian©, inox - 11,9 x 13 x 3,8 cm
Photo : Isabelle Pellegrin
ANNE-MARIE DUROU, VITA NOVA MERCURIELLE, 2012
Argent, inox - 1,1 x 5 x 4,8 cm
Photo : Isabelle Pellegrin
ANNE-MARIE DUROU, VITA NOVA (VERTICALE), 2009
Lycra, inox polymiroir, rembourrage, bois - 153 x 148 x 30 cm
Photo : Isabelle Pellegrin - Collection privée
ANNE-MARIE DUROU, MANGE CRAMAILLE BLANC, 2007
Polyamide, aiguilles, émail - 57 x 80 x 12 cm
Photo : Guillaume Bonnaud - vue d'exposition au Frac Aquitaine, Bordeaux
ANNE-MARIE DUROU, MANGE CRAMAILLE, 2003
Silicone, pigments - 67 x 110 x 7 cm - Photo : Guillaume Bonnaud - vue d'exposition au Frac Aquitaine, Bordeaux
ANNE-MARIE DUROU, PHANTOM OF PARADISE BLANC, 2011
Cuir, mine graphite, calque - 50 x 70 cm - Photo : Isabelle Pellegrin
ANNE-MARIE DUROU, ICI LA TERRE 1, 2015
Cuir pyrogravé, métal peint - 60 x 80 x 110 cm
Photo : Isabelle Pellegrin - vue d'exposition : Rezdechausée, Bordeaux
ANNE-MARIE DUROU, ICI LA TERRE 2, 2015
Cuir pyrogravé, bambou, bois - 76 x 75,4 x 102 cm
Photo : Isabelle Pellegrin - vue d'exposition : Rezdechausée, Bordeaux
ANNE-MARIE DUROU, ICI LA TERRE 2, 2015
Cuir pyrogravé, bambou, bois - 76 x 75,4 x 102 cm
Photo : Isabelle Pellegrin - vue d'exposition : Rezdechausée, Bordeaux
ANNE-MARIE DUROU, MARCHE FRANCO LUNAIRE, 2015
Cuir pyrogravé, bambou - 85 x 204 x 4 cm
Photo : Isabelle Pellegrin - vue d'exposition : Rezdechausée, Bordeaux
ANNE-MARIE DUROU, REMENTA (DÉTAIL), 2011
Corian, Inox - 200 x 600 x 250 cm
Photo : Studio mathias - Commande publique : Pôle Juridique et Judiciaire de Bordeaux
ANNE-MARIE DUROU, REMENTA SCULPTURE SUSPENDUE, 2011
Corian, Inox - 200 x 600 x 250 cm
Photo : Studio mathias - Commande publique : Pôle Juridique et Judiciaire de Bordeaux
ANNE-MARIE DUROU, EMBLÈME, 2013
Argent, or - 4,3 x 4,8 x 0,3 cm - Photo : Isabelle Pellegrin
ANNE-MARIE DUROU, FIGURE BLANCHE, 2013
Corian© - 2,5 x 5 x 6 cm
Photo : Isabelle Pellegrin