Remi Parcollet

Voir l'exposition
réalisé par Joaquín Muñoz
février 2016

Entretien filmé de l’historien de l’art Remi Parcollet à l’occasion de son dispositif curatorial

Voir l’exposition 
au Project Room de la Galerie Art & Essai, Université de Rennes II, du 12/02 au 10/03/16, en partenariat avec le Réseau documents d'artistes.

Réalisation Joaquín Muñoz, Parlez à propos.
Durée : 6 minutes


 « Voir l’exposition » fait suite à une invitation éditoriale du Réseau documents d’artistes à Remi Parcollet pour le site reseau-dda.org. Remi Parcollet travaille sur l’histoire des expositions à partir d’approches contemporaines des archives visuelles. En s’appuyant sur le large corpus d’artistes représentés sur les sites Documents d’artistes en régions PACA, Bretagne, Rhône-Alpes et Aquitaine, il a poursuivi son analyse de la documentation photographique des oeuvres en situation d’exposition dans le contexte d’une base de données en ligne. 

Une reproduction photographique est à l’évidence un moyen de connaissance d’une oeuvre. Mais la question de la documentation par la photographie des oeuvres en situation d’exposition appelle une réflexion plus large sur la photographie comme outil dans le travail de création, qui dépasse les enjeux de conservation, de diffusion et de médiation. Une photographie de vue d’exposition n’est jamais une reproduction, elle se détermine en fonction du temps et de l’espace. Elle est un outil documentaire, après, pendant et même avant l’exposition. La mise en photographie dont l’exposition a toujours fait l’objet permet les « comparaisons » et « vérifications » qui influent, par voie de conséquence, sur sa conception. Dans le contexte de l’éphémère, ces photographies d’expositions, bien souvent substituées aux souvenirs, ne peuvent plus être envisagées comme un médium transparent.
La multiplication des supports de publication et de diffusion de cette documentation photographique, en particulier avec Internet, facilite la médiatisation de l’exposition mais aussi son archivage et même sa patrimonialisation. Ce qui n’est pas sans conséquence sur la perception de l’oeuvre d’art. On assiste à une décontextualisation impliquant une réinterprétation qui risque bien souvent de modifier la nature de l’oeuvre ou le propos de l’auteur. 
Documents d’artistes constitue dans les régions PACA, Bretagne, Rhône-Alpes et Aquitaine, une plateforme de référence pour les artistes et une ressource pour les professionnels. Ces bases de données ont la particularité d’être élaborées en dialogue avec les artistes. Concernant la diversité des pratiques artistiques d’aujourd’hui dans leurs rapports à l’exposition, il est singulièrement révélateur d’y observer la place et le rôle des photographies d’expositions notamment vis à vis d’autres documents : photographies d’oeuvres, reproductions, notes descriptives, textes, extraits vidéo et sonores. 
Une première approche de ces questions a été développée dans le cadre d’une invitation éditoriale du Réseau documents d’artistes. Cette publication numérique intitulée « Voir l’exposition » a révélé un ensemble de réflexions de nature pragmatique appelant un projet curatorial éponyme.
Transposer une base de données comme Documents d’artistes sous forme d’exposition permet par un exercice de mise en abîme et de corrélation, de penser les enjeux de représentation des oeuvres exposées, de diffusion en ligne et de dématérialisation. L’Atlas Mnemosyne d’Aby Warburg est très certainement un ancêtre des bases de données d’images d’aujourd’hui. Il était destiné à rendre visibles les rapports entre différentes formes, cultures et périodes par la force du montage d’une Histoire de l’art sans texte, le vide qui séparait les images comptait tout autant. Warburg évoquait une « iconologie de l’intervalle » où le vide est un espace de pensée. À la même période Heinrich Wölfflin a initié la pratique de l’historien de l’art par une méthode de comparaison des oeuvres pour développer une typologie des styles, basée sur l’usage d’une double projection simultanée de diapositives. La mise en relation des documents, l’élaboration de correspondances, l’analogie, sont ainsi au coeur de la méthodologie en Histoire de l’art. Rapprocher non plus seulement des documents mais des oeuvres dans un lieu, un environnement, avec l’objectif de créer du sens, voire de formaliser un discours, correspond à une autre pratique, qui entre alors en résonance, celle du commissaire ou du curateur.
« Voir l’exposition » s’inscrit comme un dispositif de monstration. À l’inverse d’une tentative d’exposition dématérialisée, cette mise en espace d’une base de données documentaires évolue de manière processuelle proposant non plus l’expérience de l’oeuvre elle-même mais celle de sa perception lorsqu’elle est exposée à la lumière et aux regards, de sa polysémie et de son image définies au travers du temps et de l’espace. Le musée imaginaire de Malraux n’avait pas de mur et les images digitales n’ont pas de consistance. Mais voir l’exposition, et pas seulement les oeuvres, nécessite une expérience tangible et réflexive, une mise en abîme orchestrée pour transcender le document. Extraire des images, les imprimer pour les inscrire puis les déplacer sur le mur permet de constituer, au-delà de l’interface numérique, de nouvelles configurations, des constellations dont le mouvement entraîne un renouvellement du regard sur les oeuvres exposées.

Remi Parcollet, 2016.