Marie-Claire Mitout
Marie-Claire Mitout, dans les contre-allées de la peinture
C’est un livre qui remonte le temps, comme son œuvre. Marie-Claire Mitout est peintre, mais elle a toujours fréquenté « les contre-allées de la peinture1 ». La série Les plus belles heures, qu’elle a commencée il y a une trentaine d’années, est une façon d’arpenter le temps comme elle arpente son art, avec un boulier chinois. Peindre pour dénouer les nœuds du monde, pour saluer la vie et la réécrire, telle est son entreprise. Elle la mène en s’inspirant d’histoires, d’instants ou de simples événements, de mots entendus, du goût d’une pomme ou de la rencontre avec un chat. À ses débuts, pendant l’année 1990, elle a fait 300 peintures, toujours de mémoire. Elle s’était donné pour objectif de faire une peinture par jour pendant un an, tous les cinq ans. Après la deuxième série, elle a décidé de faire le même nombre de peintures, mais en cinq ans. Les tableaux s’organisent par familles, dont les membres sont plus ou moins nombreux, autour de thèmes comme la tragédie grecque, un Japon imaginé, des chemises magiques ou, tout simplement, des paysages…
Chez elle, tout commence avec les mots, écrits dans un carnet quotidiennement : le temps qu’il fait d’abord, des choses vues, le détail d’une enluminure, la visite de proches, une scène de bibliothèque… Avant la peinture, ces mots se traduisent en recherches dessinées, qu’elle ne montre pas plus que ses écrits. Les plus belles heures se composent de gouaches en format A4, et de quelques grandes toiles peintes à l’huile. Au fond, tout était dit dès la première image, un personnage allongé sur un lit avec une couverture rouge, entouré de livres, un lieu de rêves et de retrait (03 septembre 1990, gouache sous-titrée Série autobiographique « Les Plus Belles Heures » Trace du meilleur moment du jour passé).
Marie-Claire Mitout a grandi dans le Limousin — où elle est retournée peindre récemment. Après l’école des Arts déco à Limoges, elle a fait les Beaux-Arts à Lyon, puis à Paris, dans l’atelier de Christian Boltanski qui commençait son enseignement. Mais la vie parisienne lui a semblé trop dense et elle est repartie pour Lyon – où elle enseigne aujourd’hui à l’École d’architecture –, pour y installer son atelier un peu à l’écart, dans une forêt.
De Robert Filliou, elle a retenu le « principe d’équivalence : bien fait, mal fait, pas fait », selon lequel l’art est une matière ouverte à tous. Elle invite à regarder le monde autrement. Et les images de l’histoire de l’art voisinent avec celles du quotidien. Ses peintures ont aussi quelque chose des ex-votos, comme des images à décrypter, presque des peintures de voyants.
Si l’on fouille dans ses gouaches, on découvre divers états de conscience. Marcel Proust lui a longtemps tenu compagnie, raconte-t-elle : construire un récit permet de faire des allers-et-venues entre les pertes et les gains du monde, et l’art est une façon d’apprendre à l’aimer. Marie-Claire Mitout parle de son œuvre comme d’un éternel recommencement, parce qu’elle s’adresse à la succession des jours et aux plus belles heures qui les composent. Jusque très récemment, elle n’a jamais voulu vendre ses peintures. La proposition de publier un livre aux éditions Roven l’a finalement décidée à en destiner certaines à la vente. Passer par le livre est d’ailleurs l’une des injonctions qu’elle avait reçues de son « Bon Conseil », qui apparaît de temps en temps dans ses peintures, à ses côtés.
Dans ses peintures, elle a aussi inscrit des mots comme des dialogues, ou parfois comme des images. « Allons », « Vas-y », « M’en fous »… peut-on lire sur un t-shirt ou bien au centre d’une composition. Et puis il y a aussi Le songe, une sorte de paysage en mots, un projet de vie et d’œuvre pour vingt ans. Au fil d’un labyrinthe, on lit dans des cartouches reliés les uns aux autres : « Tout va disparaître », « Peut-être pas », « La poésie n’est pas dans la poésie »… C’est un paysage de l’âme comme chez les peintres chinois, où l’on vagabonde au gré des forêts et des cascades. On pourrait penser à de l’art naïf ou à de l’art brut, mais Marie-Claire Mitout pratique au contraire un art fouillé, érudit et précis. Elle raconte sa vie comme un songe, de rencontres en événements : les répétitions d’une pièce de théâtre, un voyage au Japon annulé par le Covid… À la place de cette expédition lointaine, elle a rendu visite à Bonnard aux environs du Cannet. Dans ses dessins de scènes d’hôpital irréelles vécues pendant le Covid, le sol d’un parking ressemble à une piscine de David Hockney, même si la composition se réfère plutôt à une Visitation de Fra Angelico. Aujourd’hui, elle aimerait approfondir le travail sur la vision et la cécité entamé avec Œdipe et Semimaru, et la question du troisième œil qui la mènera certainement en Inde. Tandis que les figures de Niki de Saint Phalle et du Facteur Cheval font leur apparition…
Comment trouver sa place dans un monde qui brûle, semble-t-elle se demander à chaque instant. En faisant advenir la joie, comme une forme de résistance.
1. Cette citation de Marie-Claire Mitout est issue d’un entretien avec l’autrice, qui a eu lieu à Paris le 20 juillet 2022, et duquel sont tirés les citations suivantes et les éléments factuels présents dans ce texte.