De la collaboration - éditions Exposé-e-s
En 2014, alors que nous nous rencontrons dans le cadre d'une résidence expérimentale entre trois structures - Artistes en Résidence à Clermont-Ferrand, Lieu-Commun à Toulouse et L'attrape-couleurs à Lyon - rien n'annonçait le travail et les projets qui allaient naître par la suite.
Tout commence par une envie de collaborer. L'un et l'autre travaillons sur des projets éditoriaux et curatoriaux en parallèle du développement de nos pratiques plastiques personnelles (BROADCAST POSTERS pour Guillaume, KONTAKT et LES INVISIBLES pour Alex). D’une amitié naissante, s'affirme très rapidement l'envie de mener un projet commun, de former une entité vague constituée de deux regards, de deux approches de l'art et de l'édition qui se complètent.
En 2016, un duo show à l'URDLA va venir sceller cette volonté au sein d'une publication (ÇA PRESSE n°67, URDLA) qui nous permet de mettre en application ce désir de collaboration avec différentes personnalités de l'art, en France, comme à l'international.
Après de longues discussions, un an après, à l'été 2017, naît la structure éditoriale et curatoriale « éditions Exposé-e-s ». Nous vivons dans deux villes différentes, l'un en Rhône-Alpes, à Lyon, l'autre en Corrèze, à Bort-les-Orgues. La géographie nous amène à construire nos projets en composant avec la distance. S'en suivent de nombreux échanges par divers moyens de communication. L'espace digital, celui de l'e-mail en particulier, est notre lieu de travail commun. Espace que nous allons partager, très rapidement, avec les artistes que nous allons inviter à collaborer.
Collaborer, c'est se mettre sur un pied d'égalité. Aussi, éditions Exposé-e-s se place comme un projet d'artistes pour artistes. Cette approche nous offre davantage de libertés dans la construction de chaque édition.
2017 – « POST ». Nous nous envoyons des cartes postales très régulièrement, pratique qui a même été, à l'occasion de l'exposition à URDLA, l'objet d'un travail commun : Doppelgänger. Ce qui était le titre de l'exposition était également le titre d'une estampe que nous avions réalisée à distance par l’envoi d’une plaque de cuivre par La Poste. C'est donc naturellement que nous avons souhaité éditer notre propre collection de cartes en travaillant avec des artistes dont nous estimons la démarche et pour lesquel-le-s ce format semble pertinent. Très rapidement, des listes de noms s’établissent, en parallèle des choix graphiques : cette revue trimestrielle se dessine. Liste 1 - 3 noms, Liste 2 - 5 noms, Liste 3 - 2 noms, etc. Les listes nous permettent de partager nos idées, nos envies, d'avoir un repère, un endroit où regarder. Des choix s’opèrent, l'un et l'autre contactons les artistes et les galeries : le projet est lancé.
Au moment du lancement de POST, il y a l’envie de créer un objet, une collection unique et adressée. C’est ce choix qui a induit la dénomination de "revue", du fait de sa périodicité, tous les trois mois. Tenant à ce format d'adresse unique et personnelle - de la part d’un artiste à un « lecteur-spectateur » - cet objet nous semblait devoir être disponible seulement par abonnement : recevoir POST, c'est s'engager dans un projet, c'est faire partie d'un club.
▸ Guillaume Perez : "Contrairement au poster ou à l’affiche, la carte postale est de l’ordre du privé, elle établit un lien d’une personne à une autre. Nous encourageons les artistes à réfléchir dans ce sens. Par exemple Guillaume Leblon et ses propositions sur le corps. Cela fait forcément écho à celui ou celle qui reçoit la carte postale. Lorsque Samuel François, qui prend énormément de photos lors de ses voyages, nous a proposé une photo de voyage ancienne, c’était pour lui une envie d’inscrire la carte postale dans une proposition plus contextuelle, de la rejouer dans un autre temps.
▸ Alex Chevalier : La carte postale est un extrait du travail d’un-e artiste mais n’est pas que ça… Le principe de POST se fait dans l’abonnement, c’est un acte décidé. On s’est rendu compte avec le temps qu’il y a un vrai désir et une attente de la part des personnes qui s’abonnent et vont recevoir la carte postale au fil des mois. Cela crée un rapport intime, bien plus qu’on ne l’imaginait. Ça devient un objet quasi-exclusif."
— Extrait de l'entretien réalisé par Marie Gayet pour la revue Artaïs, automne 2021
En 2019, nous avons tous les deux à cœur de développer de nouvelles formes : ainsi « LIBRARY », série de publications monographiques, naît de l'idée de parler des coulisses d’un travail, des à côtés, de ce qui nourrit une recherche. De la même manière que POST (qui continue en parallèle), LIBRARY se construit à partir de propositions de noms pour des collaborations souhaitées, en vue d'un travail à six mains qui consiste en de mutiples envois et échanges avec les artistes invité-e-s : des documents joints, des images, des textes, etc.
De notre côté, des propositions de mises en pages, de l’un à l’autre d’abord, Version 1, Version 2, Version 3, Version 4, etc., afin d'arriver à un ensemble cohérent entre la forme et le contenu. Les échanges se poursuivent avec l’artiste invité-e, à qui nous partageons notre intuition, puis une proposition.
À l’issue de ces différents essais et allers-retours, un chemin de fer définitif est validé à trois et part à l’impression, puis la publication vit sa vie. D’abord lors de soirées de lancement, ou par le biais de conférences publiques auxquelles les artistes participent et qui permettent de présenter l’édition. Ensuite la vente par correspondance est lancée, avec là encore un choix engagé : le tirage est réduit et nous vendons les publications quasiment à prix coûtant afin que le projet soit facilement accessible.
Des collections. Même si nous nous laissons la liberté d'une publication hors format et unique, il est vrai que dès le début, que ce soit avec POST ou avec LIBRARY, nous avons eu envie de proposer des espaces aux caractéristiques pré-définies. Des objets éditoriaux dont la forme ne changerait jamais, dont seul le contenu serait amené à être modifié.
Pour POST par exemple, l'envie était de définir un cadre : une carte postale, dont le texte - le cartel - serait écrit à la main et dont le visuel serait proposé par l’artiste. LIBRARY est pensée comme une collection, dont la structure serait toute aussi invariable : une succession de 48 pages format A5, imprimée en noir et blanc, sur un papier de 135g/m2, sans couverture, le tout relié par piqûre à cheval avec œillets. Un cadre strict qui doit aider les artistes à repenser leur travail et leur approche de l'atelier. Le passage en noir et blanc opérant alors comme une mise à distance avec leur pratique.
▸ Marie Gayet : "Avec LIBRARY, le deuxième projet des éditions Exposé-e-s créé en 2019, vous semblez vous rapprocher de ce que l’on entend généralement de l’édition d’artiste ou d’une monographie. Ouvrage relié, des visuels, quelques textes, le noir et blanc, pas de titre ! Même si on sent un parti-pris très formel dans l’ensemble des propositions, aucun « livre » ne se ressemble.
▸ Guillaume Perez : Nous voulions un support qui ne soit pas la continuité de POST, qui soit même presque son contraire, plutôt une invitation à présenter une pratique, même si le mot est un peu galvaudé, plus qu’un travail, ou alors une façon de travailler. Une manière pour les artistes de rendre explicites des choses qui sont des nourritures de leur pratique personnelle, qu’elles soient de l’ordre du geste, du contexte, de travail d’atelier."
— Extrait de l'entretien réalisé par Marie Gayet pour la revue Artaïs, automne 2021
Éditions Exposé-e-s se conçoit donc dans la collaboration, la confiance et l’échange, tout se construit avec l'aval de l'un-e et/ou de l'autre, tout est ouvertement modifié et modifiable par l’un-e et/ou l’autre.
Travailler sur un tel projet nous permet d'un côté d'assouvir une soif de collaboration que nous ne mettons pas (ou rarement) en place dans nos pratiques plastiques respectives. Cela nous permet aussi de repenser nos rôles d'artistes comme créateurs et diffuseurs d'informations, l’information étant ici le travail d'autres artistes.
Et comme pour tout le reste, ce texte a été écrit à quatre mains, entre plusieurs messages envoyés, dans une chambre d'hôtel, dans un train, dans le métro et à une terrasse de café entre Aubervilliers et Lyon. Vous en lisez une version définitive, la neuvième.
Alex Chevalier et Guillaume Perez pour éditions Exposé-e-s