Catherine Rannou

Residency logbook
Frac Grand Large — Hauts-de-France, Dunkerque 2016
December 2016
Catherine Rannou, L’Agence internationale, Anne, Jean-Philippe, Richard
Vue d'exposition - FRAC Grand Large — Hauts-de-France
Photo : © Aurélien Mole

Étape 1 : Artiste en résidence ?

Mon travail d’artiste et d’architecte s'attache aux questions de la colonisation des territoires par les constructions humaines. Mon travail artistique s’entreprend dans des contextes de résidences de plusieurs mois ou lors de traversées maritimes. J’essaie de comprendre ce qui se déroule dans un lieu, un espace bâti, au sein même du groupe humain qui l’occupe, puis je dé-contextualise ce travail et le revendique en tant qu’œuvre. Je tente d'épuiser un lieu, de capter ce qui, petit à petit, fait qu’un espace est habité, occupé, par une personne, une famille, une communauté. 

L'observation minutieuse des détails de construction et des bricolages magnifiques et maladroits, le « custom » de certains bâtiments, sont ce qui organise mes traversées, mes transects1 urbains, maritimes ou ruraux. Je m'immerge dans l'environnement qui sera pendant plusieurs mois, mon lieu de travail, de recherche et de résidence. Mon travail se poursuit aujourd'hui à Dunkerque, Grande Synthe, Calais et dans l’édifice qui abrite le Frac Nord-Pas de Calais, édifice dessiné par les architectes Anne Lacaton et Jean Philippe Vassal.

1 « Un transect, à l'origine (Von Humboldt 1790), est une coupe transversale d'une région géographique utilisée pour révéler une séquence d'environnements différents.(...) Pour les environnements humains, à la façon d'une coupe le transect peut être utilisé pour identifier un ensemble d'habitats variés selon leur niveau d'intensité de caractère urbain, un continum qui va du milieu rural au milieu urbain. in Andrés Duany et al., SmartCode & Manual (Miami: New Urban Publications,Inc., 2005). Traduction CR

/

Visite du FRAC Nord-Pas de Calais, 17 août 2016

« il ne s'agit pas de refuser de faire quelque chose, mais nous considérons que le travail d'un architecte n'est pas seulement de construire; la première chose à faire c'est de penser, et uniquement ensuite on peut dire si l'on doit construire ou pas. Très souvent il faut construire, parfois non » Lacaton & Vassal

Le projet de résidence et d'exposition commence par une promenade, une traversée.

 Le stockage d'œuvres précieuses, dans un lieu de stockage industriel, un port.
 Impression de deux gros navires accolés l'un à l'autre, on ne sait lequel s'agrippe à l'autre. L'un soutient l'autre par son vide, son opacité et son histoire, le deuxième par son contenu mi-voilé, ses transparences et sa jeunesse. Un diptyque à l'échelle du port industriel, d'une ville d'un peu moins de 90 000 habitants.

Envies de jouer avec les volets, les fenêtres, les balcons. Ces éléments d'architecture « en plus », sont pour l'instant masqués par de grands coulissants translucides ou des matelas gonflables isolants.
Créer des fenêtres, allumer les lumières, mettre du mobilier et des fleurs aux balcons.

Entrée discrète mais en même temps assez évidente, impression de rentrer par la petite porte; envie immédiate d'aller facilement dans la « cathédrale ».

/

Je suis là pour exposer. Le travail de construction est déjà fait et par des architectes que je respecte énormément depuis de nombreuses années et dont je visite régulièrement les projets, construits ou en chantier.
Ne pas construire, mais peut être créer de nouveaux usages à travers l'exposition que je vais réaliser.

Visite scrupuleuse des étages du FRAC avec Keren Detton sa directrice et Elodie Condette. Emprunter les escaliers transparents et les coursives plutôt que les ascenseurs opaques. Une vue sur la mer du Nord dévorante, intrusive, hypnotique. Hors ville. Que faire de plus ?

Se dégager de cette vue, se tourner vers la « cathédrale », puis se retourner vers la vue magnétique. Oui c'est bien la mer du Nord, ce n'est plus la Manche cela se voit, non ?. Un nouveau diptyque : terre-mer, puis au fur et à mesure de la montée, d'étages en étages, il devient un triptyque : terre, mer, ciel. Etonnement au dernier étage, je sens une enveloppe autour de moi, je n'ai pas ce sentiment d'être projetée dans le vide comme aux étages précédents. La membrane m'enveloppe. C'est un espace atmosphérique, proche des nuages, des intempéries, une bulle d'air chaud légèrement climatisé.

On redescend. Pour revenir à la « rue » qui traverse le FRAC, elle donne plutôt l'impression de passer près d'un dessous de pont, mais elle apparaît au 1 étage, pour l'instant sans usage, de plain-pied sur certaines salles. D'ailleurs ce serait plutôt un passage qu'une rue. Oui c'est un passage, celui décrit par Walter Benjamin ou la ville de Fourrier faite de passages, la « ville en passages », le lieu du flâneur.

C'est comme une agrafe qui relie les deux bâtiments, l'ancien et le contemporain. C'est un lieu vitré qui permet de voir la partie balnéaire d'un côté et la partie portuaire de l'autre mais aussi l'intérieur en plongée de la cathédrale. C'est un espace suspendu, une indiscrétion sur l'espace urbain avec très peu de murs.

Se dégager de cette rue...non de cette vue... Suivant les étages, on perçoit monumental, l'horizon maritime ou au contraire un simple paysage à travers des fenêtres, au delà d'un balcon.

/

Avoir envie d'habiter là.

Parcourir les « entre deux », chers aux architectes de cet édifice, les balcons, les terrasses, les espaces « en plus ». Les espace chauffés non chauffés, ensoleillés, à l'abri de la lumière. On y passe grâce aux coulissants vitrés que l'on retrouve aussi dans les logements de Lacaton & Vassal à Saint-Nazaire ou ailleurs. Ouvrir ces coulissants, franchir ces seuils, c'est comme être un peu chez soi et décider d'aller prendre l'air sur le balcon, dans la loggia, sur la terrasse, pour profiter du temps, de la vue.

J'ai aimé ouvrir les grands coulissant translucides avec Keren comme si nous ouvrions les volets d'une grande maison pour l'aérer, pour y faire rentrer la lumière, les bruits de l'extérieur, des vagues et des voitures.

Une atmosphère tranquille de bureau, avec des parties où l'on aperçoit à la fois l'écume lointaine des vagues et les parois gaufrées et translucides de la « Cathédrale ». Ce vitrail de résine se transforme à cet étage en fragile luminaire de Noguchi. La lumière se dilue progressivement du nord vers le sud. Un balcon filant avec 4 volets coulissants translucides qui peuvent s'ouvrir sur la mer du Nord. Leur ouverture laisse apparaître en dentelle les garde-corps à barreaudages en acier galvanisé., éléments standards et récurents des projets de Lacaton et Vassal. Du mobilier de bureau industriel: 21 tables de 210/70, 30 étagères métalliques avec et sans fonds. Une longue bibliothèque remplie d'ouvrages. Une hauteur sous plafond basse mais qui laisse pas mal de souplesse dans les cloisonnements. Un espace de projection déjà existant autour duquel s'enroule l'espace libre. Plusieurs entrées possibles sur le plateau. La cloison de l'espace dit « vitrine » pourrait être déposée pour créer un espace d'exposition plus important. Et le balcon deviendrait ainsi un espace d'exposition comme au deuxième étage et non plus un cheminement d'évacuation en cas d'incendie. Des portes d'accès à des rangements et des escaliers adossées aux réserves sont peut être un peu trop prégnantes dans l'espace d'exposition, possibilités d'ajouter une paroi en respectant les normes pompier.

/

Étape 2 : Résidence sur le territoire dunkerquois

Pendant deux mois je documente quotidiennement mes parcours, à la façon d'une architecte qui repère le terrain et le paysage dans lesquels elle va poser sa construction, à la recherche d'indices, d'arguments qui lui permettent d'écrire l'histoire de son futur projet. En tant qu'artiste je crée ainsi depuis une vingtaine d'années une documentation qui rassemble détails de construction, relevés de petits habitats précaires astucieux, abris scientifiques, mobiliers voir quelques clapiers bioclimatiques. Ces ouvrages trouvés à travers le monde, au fil de mes traversées terrestres et maritimes, sont en général conçus dans l'urgence de la nécessité, ils réutilisent les rebuts des constructions industrielles, les détournent et créent de nouvelles construction inédites, dignes à mon sens de projets tels que l’entendent les architectes.

La restitution de ce travail prend la forme d’installations mettant en relation des vidéos, des photos, des dessins, des cartes manuscrites, des maquettes etc… provenant de la collecte effectuée in situ. Les éléments composant les installations sont choisis selon des critères à la fois poétiques et politiques.

/
/
/
> Visionnez le film "L'Agence Internationale : Le chemin des dunes"
/
/
/
/
> Découvrez l'entretien vidéo avec Catherine Rannou réalisé par le Frac Nord-Pas de Calais

Étape 3 : L'Agence Internationale, Anne, Jean-Philippe, Richard...
Exposition/résidence 01.11.2016 - 09.04.2017

« Revendiquer des projets d’économie faible, en utilisant les outils « d’encodage » de l’architecte, c’est aussi ré-envisager
le rôle de l’architecte dans une société en crise, et son rapport
 à l’auto-construction, au lâcher prise, au rapport habitant/ architecte/auteur/constructeur. Il s’agit de questionner l’habitat informel et les quartiers entiers qui peuvent se construire malgré l’environnement législatif et normatif contraignant de nos sociétés développées. » Catherine Rannou.
 
L’Agence Internationale est une sorte d’agence d’architecture voire d’espionnage, imaginée par Catherine Rannou. Elle inventorie, revendique et redessine sous son nom des constructions existantes, non référencées par la grande l’histoire de l’architecture, des constructions réalisées et conçues par des auto-constructeurs. Les prénoms du titre « Anne, Jean-Philippe et Richard » sont choisis en référence à des architectes présents à Dunkerque, mais les noms ont été volontairement écartés pour désigner un principe de création collective en constante évolution.
 
Cette exposition évoque le regard, le parcours et les interrogations de Catherine Rannou à la suite d’une résidence de deux mois sur le territoire dunkerquois. En tant qu’artiste et architecte, elle s’intéresse aux questions que pose la colonisation des territoires par les constructions humaines, légales ou sauvages, en passant aussi bien par Dunkerque, la Bretagne, que par l’Arctique canadien ou l’Antarctique. L’exposition réunit des travaux produits sur place, des notes de Catherine Rannou (écrites, dessinées, photographiées et filmées), des documents sur des architectures de Dunkerque (le Frac, la passerelle du Grand Large, la chapelle des Marins de Loon-Plage…), des archives personnelles prêtés par des auto-constructeurs (un brevet de structure habitable, une collection d’images retraçant la vie et l’architecture du quartier de Rosendaël au 20e siècle, les plans de construction d’un poulailler…). Ces éléments sont complétés par des documents issus des archives municipales de Dunkerque, par des objets glanés ou fabriqués, et par des œuvres de la collection du Frac Nord-Pas de Calais faisant écho aux transformations des matériaux, des villes, et du regard porté sur eux (Jeff Wall, Matthew MacCaslin, Sam Durant…). L’exposition de l’Agence Internationale s’affirme ainsi comme un objet hybride : les registres narratifs s’y croisent et l’architecture y déborde de son champ pour s’inventer de nouvelles histoires et retisser des liens entre le bricoleur, l’artiste et l’ingénieur.
 
La scénographie privilégie sous forme d’inventaires une mise à plat des ressources, qui donne à l’exposition des allures de bureau d’architecte. Présentés sur des tables, les éléments font l’objet d’un travail d’association, de montage et d’annotation. Ils sont mis à disposition pour de nouveaux usages ou bien d’autres fictions. L’exposition devient elle-même cette Agence Internationale, où vous pouvez déambuler, vous assoir, regarder, feuilleter et contempler le proche avec le lointain.
 
Avec les œuvres et documents de :
 Michel Agier, Archives de Dunkeque/CMUA, Association Ecochalet, Jean-Jacques Broeks, Collectif Aman Iwan, Sam Durant, Alain Guiheux, Cyrille Hanappe, Brigit de Kosmi, Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, Enzo Mari, Mathew McCaslin, Papanek, Georges Pieters, Rietvelt, Richard Rogers et Daniel Treiber, Philippe Ruault, Farid Sakta et Nabyl Karimi, Jérôme Soissons, Raphaël Soissons et Maria Kralisch, Jeff Wall, Remy Zaugg, Julien D’hondt, Pierre-Yves Morizur, Élodie Pottier.

Commissaire d'exposition : Keren Detton

/

Projets connexes : 

- Week-end des Fracs 

/

NIMP 15
Exposition à partir de la collection du Frac Nord-Pas de Calais à la Maison de l’architecture et de la ville de Lille
Du 16 mai au 31 juillet 2017

Commissaires : Keren Detton et Catherine Rannou

Le bâtiment du Frac Nord-Pas de Calais, conçu par les architectes Lacaton & Vassal à Dunkerque et inauguré en 2013, double l’ancienne Halle de préfabrication de navire (AP2) des Anciens Chantiers de France. Il abrite, tel un cargo, plus de 1500 œuvres d’art et de design conservées dans des caisses et prêtes à être diffusées en région. Cette activité de stockage et de manutention, qui demeure cachée au visiteur, occupe près de la moitié des espaces et entre en écho avec le trafic maritime particulièrement dense et réglementé de la mer du Nord.

L’exposition “NIMP 15” pensée pour la Maison de l’architecture et de la ville de Lille, s’intéresse aux caisses qui conditionnent le transport maritime. Elle est conçue à partir des œuvres de la collection du Frac Nord-Pas de Calais et de celles de Catherine Rannou, invitée à collaborer à ce projet à la suite de sa résidence au Frac. Cette exposition fait écho à l’activité-même du Frac, en montrant la manière dont les œuvres circulent, avec leurs contraintes matérielles et administratives. Le titre choisi reprend une norme internationale destinée aux emballages en bois pour prévenir la dissémination d’organismes nuisibles. Cette norme qui s’étend avec la mondialisation des échanges, apparaît comme un symptôme d’une société en proie à l’inflation des contraintes juridiques. Une normalisation qui s’applique aussi dans le domaine de la construction et encombre bien souvent les architectes. Pourtant, les œuvres d’Aurélie Godard et Catherine Rannou nous montrent comment la « caisse bois », répondant à ces normes, est le point de départ d’architectures hors normes : maquettes de bâtiments modernistes fictifs, fruits du souvenir et de l’imaginaire, ou auto-constructions et extensions de logements sociaux réalisées à partir d’une décharge à Igloolik.

Les rebus des échanges globalisés deviennent bibliothèque de matériaux de construction. La caisse de transport, souvent citée par les artistes, apparaît comme un objet de métamorphoses, instable et poétique. Mais le conditionnement des denrées est également évoqué pour dénoncer les normes du travail et les corolaires écologiques du trafic maritime. S’appuyant sur les travaux de sept artistes, l’exposition interroge les effets de la libre circulation des biens et de l’information. Et la manière dont l’art peut donner corps à ces flux.