Xavier Theunis
L’image et ses restes
Où mène l’image d’une fenêtre sur une paroi de briques, savamment murée avec force parpaings disposés en quinconce ? A priori nulle part, et pourtant !
Par la précision de son réalisme, telle image de Xavier Theunis pourrait rester dans le facile registre de l’illusion ou encore relever de la simple anecdote. Moins évidente apparaît une potentielle relecture de la préoccupation multi centenaire du tableau entendu comme fenêtre ouverte sur le monde, source de visions et impressions nouvelles sur celui-ci. À l’exception qu’ici la fenêtre est bouchée et donc n’ouvre plus sur rien… or c’est bien ce qui intéresse. Car ce à quoi s’emploie l’artiste, c’est à une reformulation constante de l’idée même, de la possibilité du tableau ; questions maintes fois soulevées certes, mais que Theunis aborde à travers un vocabulaire plastique qui s’élabore avec singularité, tant visuellement que dans son processus de construction.
Toute allusion ici à la fenêtre évoquée plus haut ne relève évidemment pas du hasard, pas plus que n’est fortuit l’usage dans ces lignes du terme « construction » Car c’est bel et bien à un tel ouvrage – et même plus à une analyse des potentialités de la construction du tableau – que s’atèle ce travail, où en tout cas ses plus récents chantiers intitulés Vues d’atelier (2013—) et Paysages (2013—).
Les deux séries, abstraites, répondent à un protocole de travail similaire qui voit s’agréger sur le support des chutes d’adhésifs aux couleurs soutenues provenant de chez un fabricant d’enseignes. Le tableau est donc édifié à partir de restes qui de par leur nature vont laisser s’interroger sur la finalité de l’œuvre d’art et surtout son lien au décoratif, à travers notamment un rapport assumé à une double combinaison qui pourrait être périlleuse : le jeu du hasard dans la manière de récupérer les chutes et de trouver un moyen de les assembler, et un colorisme devenu quelque peu ambigu lorsque l’artiste avoue lui-même utiliser des teintes « pas toujours évidentes et pas véritablement choisies », qu’il n’aime pas forcément donc mais qui lui permettent d’accentuer des tensions dans leurs mises en relation, et par-delà dans l’édification de ce que l’on pourra difficilement qualifier d’image.
Ces deux séries s’affirment en outre être redoutablement complémentaires, puisque la « dimension paysagère » qui se fait jour dans les œuvres horizontales disparaît instantanément si le cadre est redressé à la verticale, la faisant ainsi basculer dans le champ d’une abstraction pure. S’impose par cette dichotomie l’idée, essentielle pour l’artiste, qu’en déniant la représentation priment la construction et la structure de l’image, qui potentiellement offriront – ou aboutiront à – des lectures différentes en fonction du contexte dans lequel se trouvent ces travaux exécutés, on insiste, avec des restes sans valeur.
S’il est donc une valeur à considérer là, ce sera la valeur décorative, ce à quoi Theunis s’était déjà essayé dans sa série Vues d’intérieur (2003—2013) avec l’envie, déjà grâce à des adhésifs, de confronter un tableau à son contexte, à un/des objet(s) afin pas seulement de constater une éventuelle alliance visuelle ou formelle qui pourrait s’activer ici ou là, mais plutôt de donner un caractère vivant à l’ensemble, qui se manifeste car souvent s’opère dans l’image un glissement incongru ; comme si une part du pictural était soudainement venue s’écouler ou déteindre sur le mobilier, moins par accident que par une « déformation » originelle qui viendrait remettre en cause l’assurance de nos perceptions et la définition du bon goût.
Dans ce jeu de redéfinition des principes et du regard, remarquables sont ces minutieuses copies, à échelle légèrement moindre, de caisses de transport d’œuvres d’art. Une fois nié leur rôle premier, elles s’imposent comme des objets inutiles qui renversent les valeurs puisque le contenant désormais a pris place dans le contenu de l’œuvre, non sans engager une idée de la disparition.
In fine, malgré la vitalité insufflée à son œuvre il y a paradoxalement comme une ambiguïté presque constitutive dans l’œuvre de Xavier Theunis. Elle se donne à sentir par un effet presque fantomatique, dans ce rapport incertain et comme distancié du réel imposé à tout ce qui entoure l’artiste – qu’il s’agisse de l’objet, du paysage, de vues d’intérieurs ou tout simplement de la sensation de l’espace –, qui souvent se traduit par un assèchement des formes à l’extrême. Fantomatique car ici rien n’est jamais véritablement représenté mais plutôt suggéré, comme pour mieux se concentrer sur la substance intrinsèque ou sur une aura des choses. En témoigne encore cette série de Vases (2009—) exécutés grâce à de l’adhésif micro-perforé posé sur des plaques à la teinte dorée. De ces natures mortes « à la Morandi » ne subsistent que quelques contours et menus reliefs exprimés dans une non couleur que l’on imaginerait presque pouvoir être ectoplasmique.
De même que les travaux de la série Shadows (2013—) se donnent à voir tels des miroirs d’où nulle véritable image ne surgit jamais, comme si planait une incertitude supplémentaire quant à la représentation et à la nature du réel ; ce qui dans un autre registre est également à l’œuvre dans les abstraites Vues d’atelier.
Comme face à ces abstractions le regard, dans ces miroirs, ne contemple plus une image mais ce qu’il en reste, une fois largement dépassé le stade de sa possibilité même.