Béranger Laymond
Béranger Laymond. D’un formalisme baroque.
Essentiellement tourné vers la sculpture et l’installation, Béranger Laymond a récemment intégré dans sa démarche une pratique de la peinture. Cette question du médium pictural dans son travail s’inscrit très clairement dans un héritage abstrait et formaliste. Héritage des avant-gardes déconstructivistes et minimalistes qui depuis les années 1960 ont remis en question la tradition du tableau de chevalet et de l’image peinte pour interroger la dimension matérialiste et abstraite d’une peinture « objet » déployée en volume dans l’espace réel. Ce formalisme abstrait chez Béranger Laymond se charge toutefois d’une sensualité maniériste de la ligne, d’une dynamique de la composition et d’une joyeuseté chromatique qui peuvent faire écho à des formes figuratives bien que de manière toujours allusive et fragmentaire. Un formalisme baroque qui n’est pas sans rappeler le caractère foisonnant et hybride de l’art de Frank Stella dont l’œuvre minimaliste évolue dès la fin des années 1970 vers de grandes compositions très colorées, aux titres suggestifs et littéraires, dans lesquelles la peinture investie l’espace en volume grâce au collage et à l’usage combiné de matériaux divers. Sorte d’architecture picturale et monumentale qui puisse englober le spectateur et produire en lui une décharge émotionnelle aux potentiels référentiels multiples. Il semble que l’intégration de la peinture dans le travail de Béranger Laymond se pense à l’aune d’enjeux équivalents.
Si l’artiste commence à peindre sur des petits formats Raisin, très vite il se confronte à la nécessité du grand format. Des toiles libres, non pas montées sur châssis mais suspendues comme des tentures directement au mur à l’aide de mousquetons. Parfois travaillées en double face, les toiles peuvent être associées à d’autres ou présentées sur des objets réalisés en métal tordu. Des volumes qui peuvent aussi se déployer au sol, en métal ou en sangles, dans un langage qui reprend formellement celui de la peinture. Pour Béranger Laymond, la peinture se pense donc hybride et déployée dans l’espace réel, ouvertement en résonance avec les enjeux de l’installation, de l’objet et de la sculpture. Par ailleurs, le travail de la surface peinte à l’acrylique se veut avant tout abstrait. C’est-à-dire que l’enjeu primordial et premier n’est pas un projet figuratif avec un sujet à représenter mais une question de couleur et de composition à traiter. Selon un protocole formaliste, les gestes, les formes, les couleurs, sont pour l’artiste des tentatives superposées, comme un alphabet, un langage purement autonome.
Formaliste baroque, Béranger Laymond fait preuve d’un goût revendiqué pour un art de la combinaison et de l’hétérogène. La notion de plaisir et d’aléatoire y est primordiale, comme si la peinture traitait d’une pensée magique : une chose menant à une autre, un accident donnant naissance à une forme imprévue. Témoins d’une même jouissance du faire : la manière dont l’artiste manipule les outils, joue avec les écritures et les effets de matière. Une hétérogénéité du faire qui crée des compositions ambivalentes. Si Béranger Laymond joue, en formaliste, avec la notion de surface plane et d’à plat, il travaille en même temps sur des effets de profondeur et d’ouverture de l’espace. Hétérogène est aussi sa palette, mêlant les noirs et gris à des couleurs très vives : bleus, verts, jaunes, roses. Une vivacité qui dit la joyeuseté du faire. Tout comme le travail de la matière aime jouer des textures : l’acrylique se mêle parfois au sable, se voit recouverte de latex de masquage ou de feuille de mylar à l’effet texturé.
Dans ce langage formel, d’aucuns liront de nombreuses références. De l’art ancien à l’art contemporain dont l’artiste s’approprie moins des motifs figuratifs que des écritures formelles, des gestuelles : comme par exemple les formes en zig-zag faites au peigne, empruntées à l’œuvre de Christina Quarles que l’artiste a beaucoup regardée. Mais pas que. Les échos au cinéma sont aussi très nombreux dans le travail de Béranger Laymond et cela vaut pour sa peinture comme pour son travail d’installation et de sculpture. Il réside de même, dans cet art de prime abord abstrait, des éléments qui peuvent faire référence au monde réel et se lire comme des allusions figuratives. Là des paysages se dessinent, des lignes d’horizons, des arbres, des nuages, de l’eau. Ici un morceau de corps, une forme vaguement organique ou cellulaire.
Parmi les résonances les plus suggestives : celles au cinéma et au sacré lorsqu’elles prennent forme dans une peinture « objet » qui dépasse la question de la surface plane pour investir la 3D. Béranger Laymond travaille alors à déployer un champ de grandes toiles échelonnées en quinconce dans l’espace, suspendues comme des drapés. Des toiles qui cohabitent avec des volumes au sol, en métal ou en sangles. Il y a dans ce type de peinture hybride un double écho au cinéma et au sacré qui passe essentiellement par le mouvement du corps du public au sein d’un espace immersif et la référence au grand écran. Le sacré se posant ici au sens de l’art minimaliste monumental américain : celui de Sol Le Witt mais surtout celui de Richard Serra, référence majeure pour Béranger Laymond. Cette dimension monumentale et immersive parle à sa culture judéo-chrétienne : elle a affaire avec quelque chose qui renvoie au silence de l’église, à une atmosphère, un décorum, avec des éléments architecturaux qui ponctuent l’espace. Poursuivre l’exploration de ce que peut la peinture dans la puissance suggestive et contemplative de ce type d’environnement reste la voie la plus pertinente dans la démarche de Béranger Laymond. Une joyeuse synthétise de tous les aspects de son travail, peinture, installation et sculpture mêlés.