Marie Ducaté

Carnet de résidence
juin 2021

Résidences de création - Garzon/Uruguay
2007 et 2008 : Revelaciones
2020 : El amor en los nueves
Commanditaire privé : Francis Mallmann


Rencontre avec Francis Mallmann et résidences de création à Garzon/Uruguay

Grâce à la découverte d’un reportage de Marie-France Boyer dans The world of interiors réalisé dans mon atelier à Marseille, la rencontre avec Francis Mallmann s’est déroulée sous les auspices de la terre et du feu, matières communes de nos créations, cuisine et céramique, et du rapport à la nature et au corps, beauté et érotisme en thématique partagée.


Le feu, il faut toujours avoir l’oeil sur lui, faire corps avec lui." » - Francis Mallmann

Je cuisine toujours dans des lieux reculés, dans la nature, avec le feu. Mon message, c’est de quitter sa chaise, son divan ou son bureau, et de sortir découvrir la vie. Faire le feu, c’est un peu comme faire l’amour." » - Francis Mallmann


Francis Mallmann, est un pionnier de la Riviera uruguayenne. Restaurateur argentino-uruguayen, il est présent à Buenos Aires, Mendoza, José ignacio, Miami, et Lacoste en France.

Chef, poète, designer, musicien, Francis Mallmann est un esthète. Formé à la haute gastronomie française, il invente depuis plus de vingt ans sa cuisine comme les lieux où il travaille, et crée des événements (culinaires) dans le monde entier.

Sa passion est la cuisine au feu de bois dans la nature, cuisine aux sept feux : chapa (grill ou plaque en fonte), « petit enfer » (cuisson au-dessous et au-dessus de la flamme directe), parilla (barbecue traditionnel), four à bois, rescoldo (cuisson dans les braises), asador (pièces entières mises à plat et cuites face au feu) et caldero (cuisson au chaudron).


« Devant le feu, on peut s’aimer, réciter des poésies, se retrouver entre amis, rêver et cuisiner. » - Francis Mallmann


Francis Mallmann

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En 2007, il m’a invitée à créer des céramiques pour le mur de son hôtel lors d’une résidence de deux mois à Garzon en Uruguay.

Je lui ai envoyé des dessins de la frise imaginée,  qui comprenait un poème d’Alejandra Pizarnik et des nus au milieu de la flore uruguayenne.


Dessins préparatoires résidence 2007

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En Uruguay, le village de Garzon est situé à 35 kilomètres à l'intérieur des terres, plié dans des collines verdoyantes et des vallées richement couvertes d'herbes, de fleurs sauvages et parfumées, et d'arbres à feuilles épaisses.

Garzon est un hameau endormi (200 habitants) de maisons blanchies à la chaux d'un étage, jumelées à nulle part, campées autour d'une grande place incongrue avec des pelouses, des palmiers, des haies et des fontaines, où trône un buste de José Artigas, le héros national de l'Uruguay.

Depuis que la scierie de Garzon s'est tue il y a plusieurs décennies, le trafic se compose de chiens, de chevaux et occasionnellement de poulets.

Francis Mallmann a aménagé un atelier pour ma résidence. Il a fait venir un grand four d’Allemagne et acheté de la terre ; j’ai apporté mon émail de chez Lhospied.


Village - Atelier, Garzon Uruguay

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A mon arrivée, j’ai été confrontée à un problème technique majeur : la terre n’était pas « débullée », et même avec une assistante je ne parvenais pas à enlever toutes les bulles.

Que faire ? J’étais là pour deux mois : pas le temps de se réapprovisionner.

J’ai quand même pris le risque de sculpter cette terre, connaissant le risque de fissure et de bris à la cuisson d’une terre avec bulles.


Modelage des sculptures 2007

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Les petites pièces ont cuit sans dommage, mais comme c’était prévisible les grandes sculptures se sont brisées.


Cuisson, fissures, ruptures - Garzon 2007

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Face à ces créations-vestiges, l’idée d’inclure les fragments dans le ciment en référence détournée à l’art japonais du Kintsugi a permis à Francis Mallmann de les installer d’abord dans sa maison de Garzon, puis dans son restaurant de Buenos Aires.


Frise Kintsugi, installation in situ

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A Garzon, Francis Mallmann cultive l’art de vivre. Ma résidence artistique est ponctuée de délicieux moments culinaires, de rencontres. La vie en partage, avec chaleur et élégance.


L’art de vivre

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En 2008, je retourne en Uruguay pour poursuivre pendant deux mois ma résidence avec le bon matériau. Cette fois, Francis Mallmann a fait venir la terre de mon fournisseur d’Aubagne, et j’ai repris mon modelage des sculptures pour la façade et l’intérieur de son hôtel.

La cuisson s’est parfaitement déroulée, l’ensemble des pièces ont pu être émaillées. La découverte des joints en béton du Kintsugi de 2007 s’est prolongée. Le béton est devenu support des sculptures émaillées.

Les céramiques en dialogue avec le poème d’Alejandra Pizarnik ont été installées in situ.


Résidence 2008, Frises Revelaciones, Installations in situ

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J’ai complété cette résidence de création par un atelier d’enseignement de la céramique à quelques enfants du village et à quelques employés de l’hôtel.


Résidence 2008, atelier d’enseignement

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Francis Mallmann a ouvert un restaurant au Domaine de Lacoste en Provence et nous nous sommes donc revus en France.

Il m’a demandé si je reviendrais à Garzon pour créer un luminaire avec des céramiques. Nous avons décidé de continuer l’aventure des nus, personnages non émaillés sur des nuages émaillés.

J’ai donc dessiné, des nus sur des nuages, des citrons et des fleurs, notamment en pensant à Hokusai.


Résidence 2020 – Dessins préparatoires

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Je suis repartie en septembre 2020 pour une nouvelle résidence de deux mois en Uruguay.


« Il a fallu changer trois fois de billet avant de pouvoir obtenir l'autorisation ministérielle spéciale pour entrer dans le pays qui n'est pas touché par la covid.

Ce pays est béni des dieux : 3 millions d'habitants  et une nature splendide, je suis entourée de toutes sortes d'oiseaux et peut-être aurai-je la chance d'apercevoir un nandu quand je me promènerai à bicyclette le soir.

Pour l'instant, avec Nicole mon assistante, nous avons préparé les carreaux d'essais de l'émail, et nous commençons à modeler afin de réaliser le luminaire. »

Marie Ducaté, Journal, extrait


Un nouvel atelier a été construit pour ma nouvelle résidence, avec une petite maison indépendante où j’ai pu vivre.

Le four a été remis en état, une immense table de travail a été installée dans l’atelier, et une tonne de terre a été acheminée par bateau depuis Aubagne 5 mois avant ma résidence.

Mon carnet de résidence fut à la fois un cahier d’éléments techniques, des carreaux d’essais d’émaux cuits, et un journal de notes et de photos.


Résidence 2020 - Contexte

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Francis Mallmann est un homme amoureux de la vie, un homme du partage : dans cette période hors saison touristique, une cuisine installée dans l’atelier lui a permis de mitonner des repas sur le poêle à bois tandis que je modelais la terre, et nous avons passé des moments inoubliables avec toute son équipe. Nous avons tellement ri avec Francis, Adrian, Beatriz, Nicole, Walter, Muneca, Adriana, et tous les habitants chaleureux croisés à Garzon.

Tout était réuni pour que je puisse créer des nus entrelacés, amoureux, éperdus, doux, sur des lits de nuages gris pour éclairer les ciels intérieurs de Francis Mallmann.

J’ai été accueillie avec attention et générosité. Une très belle rencontre.


« Chaque jour Francis Mallmann vient voir et ajouter des choses dans l’atelier qui devient une maison avec lit, cuisine, frigo, étagères, tissus.

De chaque côté de l’immense table deux mondes se côtoient. »

Marie Ducaté, Journal, extrait


Résidence 2020 – Francis Mallmann en cuisine à l’atelier

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Les temps de séchage des grandes pièces m’ont amené à créer outre un grand lustre, cinq petits lustres, des vases et de nombreuses céramiques.

J’ai aussi pu transmettre mon savoir-faire à Nicole Tuvi, l’assistante de Francis Mallmann, que j’ai formée au modelage de la faïence émaillée afin qu’elle puisse continuer sans moi.

Un atelier avec des enfants a permis de les initier au modelage.


Résidence 2020 - Œuvres

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Cette résidence m’a permis de parcourir la nature environnante lors de longues randonnées à vélo, et de découvrir avec émerveillement les oiseaux et les fleurs.


« Garzon est un petit village cher à mon cœur. Chaque soir après le travail, j’ai sillonné les chemins à bicyclette, m’imprégnant de la beauté des immenses prairies rythmées par les eucalyptus, acacias, ombus, ceibos et autres arbres, des lagunes où des milliers d’oiseaux viennent soir et matin. Les habitants du village qui travaillent pour Francis Mallmann venaient me voir à l’atelier et m’ont appris les noms des fleurs, des oiseaux.

L'atelier et la maison sont dans un jardin d'eucalyptus, coronilles et beaucoup d'autres arbres habités d'oiseaux et d'insectes. »

Marie Ducaté, Journal, extrait


Garzon

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