Gilles Pourtier
DEUX POIDS,
DEUX MESURES
MARBRERIE ANASTAY
Depuis 2016, Voyons voir Art contemporain et territoire invite en résidence des artistes plasticien·nes à travailler durant quelques semaines en entreprise. L'occasion pour les artistes de porter un regard contemporain sur ces lieux de création, de découvrir des techniques, des matériaux, ou encore de collaborer avec les salarié·es. C'est dans ce cadre qu'intervient la résidence de l'artiste Gilles Pourtier à la marbrerie Anastay à Saint-Rémy-de-Provence de novembre 2021 à mai 2022, réalisée grâce au soutien du ministère de la culture et du dispositif Art et Mondes du travail.
Immergé dans l'entreprise, l'artiste s'intéresse aux gestes et aux mots des marbriers ; La résidence lui permet de produire de nouvelles œuvres qui viennent interroger la matière et tisser des liens avec l’Histoire de l’art, notamment l'histoire de la sculpture.
LE YOGA DU POIDS
Des parents donnent un peu de leur poids au fœtus le fœtus
Reçoit son corps
Et dit je sais mais sans le dir
Les larmes du fœtus se mêl à d’autres liquides
Calmement
Les larmes sont comestibles sont une subsistance
Je décore mon visage avec un marteau
Je me donne du poids
Prends ce poids
Pour se calmer le vent mourait toutes les choses le remerciaient
Une connaissance apparaît
Le lien entre l’effort et le poids
Le sentiment de l’ignorance
Je luttais contre mes paupières j’avais un poids sur les yeux
Continuellement une chose naturelle dirigée vers la disparition
Je voulais et je voulais
Je regardais le sol et j’inversais le sol
Je regardais le ciel é inversais le ciel
Ma peau s’inversait la peur nous inversait
J’imaginais le monde et les deux pôles
J’imaginais mon propre sens
Quel est le mal de ce mouvement
Quel est le mal
Dans l’histoire de la terre quel est le poids du mouvement d’un
geste non-effectué
Dans l’histoire de la terre quel est le poids du mouvement d’un
geste non-effectué mais pensé
Quel est son bon
Laura Vasquez
Le yoga du poids, commande pour la residence, 2022
Production des œuvres (aperçu)
Des Gisants
La première série de sculptures que Gilles présente (...) est levée sur des tasseaux. Ces grands monolithes filiformes de granite noir et de hauteur différente, portent les prénoms en consonnes et pèsent le poids et mesure la taille de personnes bien précise (dont celle de l’artiste). Une abstraction mathématique simple qui condense l’humain à la pierre dans un rapport poids – taille – matière.
Une des faces de chacun des monolithes est polie, comme pour que l’on puisse y voir son propre reflet, y projeter notre propre psyché.
Si cette surface miroir nous mets une fois de plus face à notre condition d’être humain mortel, ne nous pose-t-elle pas la question de notre devenir dans une abstraction qui touche du doigt le traitement des données d’une intelligence artificielle collective en cours d’écriture ? (...)
Portraits
(...) À la base de toutes machine à laver, comme une fondation, il y a un bloc de béton qui permet de stabiliser la machine lorsque la force centrifuge de sa rotation est trop forte.
C’est cette forme géométrique, étonnamment anthropomorphe que Gilles a choisi de reproduire, également en marbre, au sein de sa résidence dans la marbrerie Anastay. Ce sur quoi il faut peut-être s’attarder, c’est sans doute sur le fait que l’artiste décide ici de ne pas conserver la position initiale de la forme géométrique reproduite (étendue sur le sol), mais que ce dernier prend alors à nouveau la décision de la dresser, posée sur un socle de parpaings et de marbre, créant alors un étonnant visage. (...)
Copacabana Black Horse
(...) N’oublions pas de parler de la troisième et dernière œuvre produite : Un livre d’artiste édité en 10 exemplaires. Il s’intitule Copacabana Black Horse. Il compile les différents noms des pierres (granites et quartzites), utilisés au sein de la marbrerie. Simplement classés par ordre alphabétique Gilles les fait un a un, descendre sur l’espace de la page, comme s’il s’agissait d’un flip book où les noms des pierres devaient au final retourner sur le sol. Parmi mes préférés : Artic Rainbow, Bel Horizon, Blue Eyes, Colonial White, Paradisio Classique… Et ainsi s’écrit le nom des pierres, celles qui toujours, nous ramène aux écritures de nos histoires individuelles ou collectives.
— Emanuele Coccia, Métamorphoses, (extrait), 2020, éd. Bibliothèque Rivages
Gilles Pourtier, Deux poids deux mesures, marbrerie Anastay I résidence Voyons Voir
Notes et références de l'artistes (sélection)
« Le poids est pour moi une valeur, non qu’il soit plus contraignant que la légèreté, mais j’en sais seulement davantage sur le poids que sur la légèreté, et j’ai par conséquent plus à en dire. J’ai plus à dire sur l’équilibre du poids, la réduction du poids, sur l’ajout et le retrait de poids, la concentration de poids, le levage du poids, l’appui du poids, le placement du poids, le verrouillage du poids, les effets psychologiques du poids, la rotation du poids, le mouvement du poids, la direction du poids, la forme du poids. J’ai plus à dire sur les ajustages perpétuels et méticuleux du poids, plus à dire sur le plaisir qui provient de l’exactitude des lois de la gravité. J’ai plus à dire sur le traitement du poids de l’acier, plus à dire sur la forge, le laminoir et le four à sole. Il est difficile de communiquer les idées du poids des objets de la vie quotidienne, car ce serait une tâche sans fin ; il y a une immensité impondérable du poids. »
Ecrits et entretien 1970 - 1989
Richard Serra
Daniel Lelong éditeur, 1990
p.248
Rester de marbre.
Comment fait-on pour encore rester de marbre?
La ligne d’horizon massive du Vercors barra mon réveil enfantin tant de matins.
Ce monde minéral parfois nous échappe et pourtant nous entoure depuis si longtemps comme première demeure de l’homme et son dernier repos. Je me suis posé la question de l’inscription de notre corps dans la pierre depuis la statuaire classique jusqu’au méandre quotidien de notre linge.
Gilles Pourtier