Franck Lesbros

résidence à Youkobo Art Space, Tokyo
mai 2017
Chambre de la résidence, Youkobo Art Space, Tokyo
© Droits réservés, Franck Lesbros

Sea of Instability



Sea of Instability est un film vidéo composé de plusieurs tableaux évoquant la mer et ses états. Cette réalisation tente d’évoquer le phénomène maritime à travers diverses réalisations plastiques et ainsi de faire un parallèle avec des visuels propres à l’art et au cinéma. Sea of Instability oscille entre l’attraction et la répulsion pour un milieu hostile et fantasmagorique. Les évènements sont d’ordres climatologiques (changements de lumières et couleurs, pluies, nuages, vents, tempêtes, courants), mais aussi catastrophiques (explosions, vagues, tourbillon, tsunami...). On y trouve également des apparitions d’architectures, des restes de construction urbaines ou de civilisation.

La construction de la vidéo propose un voyage au fil de l’eau, le sujet étant la mer, ses variations, ses mouvements, ses couleurs, ses caprices et changements. La mer est une succession de paysages sans cesse différents pourtant à base d’un seul élément commun, l’eau. Il suffit d’une luminosité nouvelle, d’une brise faisant frissonnait sa surface, d’un courant passager, d’une vague naissante pour que son aspect soit sans cesse remis en question, son esthétique évoluant constamment au fil du temps.

Tokyo Bay
Vue de Tokyo

Tokyo est une ville parfaite pour la conception d’un tel film vidéo, en effet, elle se situe sur la baie de Tokyo, qui constitue l’ouverture maritime sur l’océan Pacifique de la plus grande plaine du Japon. L’eau est indissociable de la ville, qui au départ est née d’un village de pêcheurs. La région de Tokyo est au carrefour de trois plaques tectoniques (la plaque philippine, la plaque eurasienne, et la plaque nord-américaine), ce qui constitue l’une des zones sismiques les plus actives du monde, la ceinture de feu. Les récents événements de Fukushima ont dramatiquement lié la sismographie et la mer à l’île du Japon. Le site de Tokyo apparaît à la fois comme un atout (ouverture maritime, défense naturelle) mais aussi comme un risque (inondations, élévation de la mer, raz-de-marée). Certains séismes pourraient provoquer des vagues de 20 mètres de haut, et il est fréquent que les alertes retentissent, la dernière en date, une secousse de 7,8 sur l’échelle de Richter en 2015. Cette particularité maritime et sismique de la ville de Tokyo influence l’élaboration du film vidéo Sea of Instability.

Mais malgré cette situation géographique, les décors et les événements sont enregistrés en studio, je ne cherche à enregistrer aucune image réelle, mais bien davantage à proposer des imageries uniquement élaborées à partir de langage appartenant à l’art, à la construction d’une réalité oblique. La mer et ses mouvements ne sont que fac similé, le set de tournage ne se compose que de maquettes et divers trucages. A la manière des décors de Fellini, cinéaste ayant évoqué maintes fois la mer, comme dans son Casanova de 1976, l’utilisation des trucages et des effets visuels constitue la base des constructions d’images. Il s’agit pour moi de redéfinir le monde qui nous entoure, de se questionner sur l’authenticité des images qui nous submerge, de redéfinir les faux semblants, les leurres et les simulations qui envahissent nos vies, en infiltrant tous les domaines de la société jusqu’à créer un monde virtuel, plus réel que le réel.

J’ai au depart commencé par construire une bassine bleu beaucoup trop petite, le cadre camera n’était vraiment pas le bon. J’ai donc recommencé avec une plus grande, noire, dans laquelle j’ai mis du colorant bleu. Ensuite il me fallait déterminer le bon éclairage, étape toujours laborieuse que de choisir la lumière propice au projet. Pour la petite histoire, il y a quatre apparitions d’un poisson dans la vidéo, ayant voulu ajouter un élément vivant, j’ai tenté de faire de ce poisson un acteur avant de le relâcher dans un étang.

Photos : Vue d’atelier / Travail en cours, confection de sculptures pour la vidéo
Photo : Image tirée de la vidéo
Photo : Image tirée de la vidéo

La miniaturisation des décors, scènes, installations prendra toute sa dimension lors de la projection en grand format, le changement d’échelle induisant ainsi un réalisme troublant, entre le réel et la fiction. Le rapport d’échelle dans la représentation d’une forme est source de fiction, il permet d’avoir l’impression de se trouver face à de vastes espaces et ainsi de créer des mondes imaginaires, poétiques. Les imperfections assumées dans l’élaboration des maquettes permettent de faire naître un doute sur la réalité des images ainsi engendrées. Proche du questionnement d’un Magritte dépeignant «la trahison des images» en 1920, j’entends néanmoins me servir de ces représentations sans dénigrer la part d’imaginaire et de rêve que contiennent la fabrication de ces vraies-fausses images. Il s’agit pour moi de redéfinir le monde qui nous entoure, de se questionner sur l’authenticité des images qui nous submerge, de redéfinir les faux semblants, les leurres et les simulations qui envahissent nos vies, infiltrant tous les domaines de la société jusqu’à créer un monde virtuel, plus réel que le réel. Une attention particulière sera apporté lors du montage, en effet, ce dernier décidera du rythme du film vidéo et des transitions. Le montage participe à la trame narrative du film vidéo, il pourra présenter des séquences longues afin d’installer une ambiance, une humeur, une contemplation, mais également des séquences courtes à base de cut afin de créer des événements, des ponctuations au film vidéo. Une tempête peut surgir par exemple d’une mer calme et peu agitée. Le montage créera le rythme, installera les événements et les ponctuations du film.

Tenniscoats



Performance et concert privé de Tenniscoats lors du vernissage.

En général, ma façon de monter les images est souvent induite par le son ou les sonorités. Le son me donne des pistes de montage, il est souvent la texture des imageries qui s’enchaînent. Je travaille souvent avec des musiciens à qui je demande de réaliser des plages de différentes natures en fonction des intentions et des imageries voulues. Cette collaboration m’intéresse avant tout car elle enrichissent mes propositions et les font aller vers des univers sonores que je n’avais pas imaginé au départ. Je souhaite rencontrer des musiciens japonais utilisant des instruments à cordes traditionnels, comme le Koto ou le Shamisen, afin qu’ils puissent collaborer et élaborer la musique de cette vidéo.

J'ai eu la chance de rencontrer Tenniscoats, Saya au chant et Ueno à la guitare. Ils ont une discographie conséquente et ont accepté avec plaisir de participer à cette collaboration et de composer une musique spécifique à la vidéo. Je voulais finir la vidéo afin qu’ils s’en inspirent pour leur musique, je leur envoyais donc les avancés du projet, puis enfin le projet final avant qu’ils ne rentrent en studio pour enregistrer. Le résultat m’a enthousiasmé, je ne leur avais donné que quelques instructions afin de leur laisser la liberté dont ils avaient besoin pour produire cette musique envoutante, avec cette voix proche du chant des sirènes.

Quelques repères entre l'art le cinéma et la mer



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La mer a toujours intrigué les artistes et les cinéastes, et plus largement les hommes. Les Anciens la disaient «violette» ou «vineuse». Cela rendait moins tentant de s’y aventurer que de plonger dans la «grande bleue» du temps de nos loisirs. Qu’ils fussent marins grecs aguerris ou solides terriens comme les Romains, ils se rejoignaient dans une même horreur et détestation de la mer et ils redoutaient plus que tout d’y être ensevelis. Sommes-nous vraiment moins inquiets aujourd’hui ? A voir l’impressionnante vague d’Hokusai, je me dis que la mer suscite toujours en nous cette part de beauté et de terreur mêlée. Shiller décrivait le sublime en se servant de la mer. Les «mers» de Michelet, de Hugo, de Jules Verne sont l’occasion d’extraordinaires bouffées lyriques qui n’ont pas perdu de leur puissance évocatrice. Même domptées, elles gardent leur mystère.


L’art et la mer
Les rivages furent presque systématiquement présents au 17ème siècle, les artistes s’embarquant peu souvent, ne connaissaient donc la mer que depuis les côtes. Par la suite, et jusqu’a la période romantique, les côtes ne se voient plus guère que dans des scènes de naufrages. Au 19ème, Waugh réalisa de nombreuses oeuvres avec pour seuls sujets des vagues sur les rochers. Courbet en fait aussi un certain nombre. Le thème se perpétue au 20ème avec beaucoup d’artistes tels: Dalshev, Dmitriev, Holcomb, Pickering... En pleine mer, à l’exception de quelques artistes, tels Aivazovsky, les vagues sont rarement le seul sujet de la composition, et décrivent plutôt une ambiance avec plus ou moins de naiveté ou d’emphase. La photographie a dans la deuxième partie du XXème complètement changé la donne dans le domaine pictural, au 21ème siècle, en plus des médias classiques, la vidéo a également son importance dans la représentation de l’étendue aquatique.


Le cinéma et la mer 
Depuis l’invention du cinéma jusqu’à nos jours, le thème de la mer a été évoqué par un très grand nombre de films, dans des genres très divers. Aux commencements du cinéma, on filme la mer avec distance, sans trop se mouiller, depuis la terre, une île ou un bateau. C’est le cas des Vingt mille lieues sous les mers de Georges Mélies, 1907. La condition des hommes est mise en avant : marins, pêcheurs, habitants du littoral ou gardiens de phares. Tels sont les premiers films néoréalistes réalisés par Victor Sjoström, Marcel Lherbier L’Homme du large, 1920, pour ne citer qu’eux, mais il en existe tant d’autres.Force est de constater que, depuis les vingt dernières années, les scénaristes se font un malin plaisir à mettre la météo en scène, notamment en mer. «The perfect storm», 2000, est probablement le film de catastrophe en mer qui a marqué les cinéphiles, tirée d’un événement historique. Dernièrement, on a pu voir L’Odyssée de Pi du réalisateur Ang Lee (2012), une jolie fable retraçant la quête d’un jeune indien livré à lui-même sur un radeau après le naufrage de son cargo.