Célia Picard et Hannes Schreckensberger

Carnet de résidence
juillet 2022

Under The Seven Planets Parade, 2022
Célia Picard et Hannes Schreckensberger

Tonte des moutons, Sifnos, 2022
© Droits réservés - Célia Picard et Hannes Schreckensberger

Célia Picard et Hannes Schreckensberger fabriquent des objets et dispositifs habitables qui nous parlent du présent. Tout en volume et en installation, leur travail noue intimement les questions des choses, de leur fabrication à celles de l’art contemporain, grâce à l’investigation du monde matériel, des promesses de la modernité et de ses mythologies collectives. Des territoires du vernaculaire au numérique, en passant par l’histoire de l’art ou la recherche scientifique, le duo franco-autrichien revisite le passé pour mieux esquisser le futur. Iels vous livrent ici le récit de leur exploration et travail de recherche et production au cours d’une résidence de trois mois en Grèce.

Tonte de moutons, Sifnos, 2022 (gauche); Exploration de la zone industrielle, Athènes, 2022 (droite)
© Droits réservés - Célia Picard et Hannes Schreckensberger

Depuis 2019, nous travaillons autour de l’idée d’abris, comme espace et temps de réflexion au milieu du trouble environnant. Nous réalisons, entre autre, des œuvres textiles de grande tailles, enveloppantes, ornées de forces protectrices de différentes natures. Le contexte de production de ces œuvres est une donnée très importante dans notre démarche. Il détermine à la fois les forces invoquées et la stratégie de fabrication. 

Nous avons une préférence pour le feutrage dit « humide ». Cette technique nous fascine car elle est basée sur très peu de technicité matérielle, et sur un savoir permettant d’utiliser au mieux les matériaux et la force mécanique. C’est une technique universelle, nous reliant à la fois au plus anciennes étoffes produites par l’homme, à la fabrication des yourtes ou à la réalisation de vêtements complexes d’une seule pièce. Nous aimons le processus d’apprentissage d’une technique. Nous explorons l’univers des tutoriels en ligne, nous visionnons des documentaires ethnographiques et bien sûr, et nous allons à la recherche de précisions en rencontrant des personnes travaillant le feutre.

De mai à juillet 2022 nous sommes partis en Grèce avec l’idée de poursuivre cette recherche. Nous étions basés à Athènes.

Le premier mois a été un mois de collecte d’informations et de rencontres. Nous avons scruté les bâtiments, les vestiges, les musées à la recherche de symboles. Nous avons remarqué la présence fréquente de signes évoquant la sphère végétale ou animale. Ces figures, souvent au second plan des poteries, bas relief et broderies nous parlaient d’une compagnie ancestrale effacée par la modernité.

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Nous avons contacté des artisans, des artistes, des entreprises, des agriculteurs pour trouver de la laine de Grèce. Nous avons raconté notre projet encore et encore. La laine grecque n’est pas facile à trouver. Trop rêche en comparaison avec la laine de Nouvelle Zélande, elle est en général jetée ou utilisée comme répulsif pour les nuisibles dans les oliveraies. Finalement seule une petite entreprise familiale de feutre à usage industriel avait ce que nous cherchions mais seulement en gris (nous y trouverons plus tard une teinte rosée)

Ceci nous a convaincu d’aller, le deuxième mois, à la recherche de la laine brute au moment de la tonte, sur les moutons. Dans les îles rurales de Sifnos et Tinos, nous avons pu obtenir de la laine brute auprès de plusieurs petits agriculteurs. Les agriculteurs de ces îles n'ont généralement qu'un petit troupeau de moutons pour faire du fromage pour leur propre consommation, et aussi pour débroussailler les oliveraies. De proche et proche, nous avons établi le contact avec plusieurs agriculteurs et pu récupérer la laine tout juste tondue. Nous avons peu à peu rempli de grands sacs, triant au fur et mesure la laine collectée. En discutant avec chacun, nous avons collecté une multitude de détails sur l’art local de travailler la laine allant du prélavage des moutons dans la mer au souvenir des pulls rêches portés enfant.

Tonte des Moutons, Sifnos, 2022
© Droits réservés - Célia Picard et Hannes Schreckensberger
Laine brute, Sifnos, 2022
© Droits réservés - Célia Picard et Hannes Schreckensberger

Le troisième et dernier mois, nous nous sommes plus ou moins enfermés dans l’espace de l’artist-run-space "One Minute Space". Nous étions à présent en juillet, la température à Athènes rendait l’extérieur hostile dans la journée. C’était de toute façon le moment de produire.

Tout d’abord, nous avons dégraissé la laine à l'eau chaude. C’est un long processus car chaque paquet de laine nécessite plusieurs cycles de lavage. Puis, nous avons cardé (peigné) la laine brute. Pour cela, nous avons fabriqué nos propres outils, en s’appuyant sur le modèle des peignes en laine traditionnels. Ensuite, selon un rituel journalier, nous avons produit 7 tentures :

Le matin, nous composions le motif avec différentes couleurs de laine que nous dispositions sur du papier bulles sur une grande table. Nous positionnions à cette première couche de laine une seconde. Nous répétions cette opération 5 fois de manière à avoir cinq couches de laine croisées qui permettent de donner de l’épaisseur à la tenture. Après un déjeuner rapide, nous commencions à feutrer la laine. Cela consiste à faire en sorte que les fibres s’emmêlent et se densifient pour former l'étoffe. Tout d’abord, nous arrosions les fibres de laine avec de d'eau très chaude et du savon de marseille, puis nous les compressions en appuyant délicatement plusieurs fois sur la surface et enfin nous les massions à quatre mains pour faciliter l’enchevêtrement des fibres.

Pour compacter davantage la matière, nous pressions, à tour de rôle, avec tout le poids de notre corps, la laine enroulée autour tube. Le soir, nous sortions la teinture dans la rue pour la rincer sous le regard des voisins.

Laver la laine, Athènes, 2022
© Droits réservés - Célia Picard et Hannes Schreckensberger
Peignage de la laine avec des peignes fabriqués par le duo d'artistes, Athènes, 2022
© Droits réservés - Célia Picard et Hannes Schreckensberger
Processus de feutrage, Athènes, 2022.
© Droits réservés - Célia Picard et Hannes Schreckensberger

Le "One Minute Space" était devenu notre espace de vie et d’atelier. Nous étions totalement concentrés dans la fabrication. Physiquement, à cause de la taille des tentures, c’était aussi une épreuve d’endurance. Les dernières tentures ont tout juste eu le temps de sécher avant la restitution dans le lieu. Nous avons présenté l’ensemble des tentures produites, accompagné d’autres pièces : un de nos essais d’animation numérique et les outils pour carder que nous nous étions fabriqués.

Ce moment de présentation était une parfaite conclusion de notre résidence. Nous sommes sortis de notre bulle pour nous reconnecter à toutes les personnes qui nous ont aiguillé à travers la Grèce et les différents quartiers d’Athènes.

Under the Seven Planets Parade, One Minute Space, Athènes, 2022.
© Droits réservés - Célia Picard et Hannes Schreckensberger

Cette résidence a été soutenue par le Ministère fédéral des Arts, de la Culture, de la Fonction publique et des Sports Autrichien.