Alex Chevalier

Carnet de résidence
Centre des livres d'Artistes, Saint-Yrieix-la-Perche
juin 2018
work office, CDLA, Saint-Yrieix-la-Perche, 2017
© Droits réservés - Alex Chevalier

Introduction à la résidence


En regard des pratiques de l'art conceptuel et post-conceptuel, mais aussi en écho à celles de l'art minimal, je me suis toujours posé la question du rôle, de l'importance, de l'espace dans les pratiques contemporaines. Comment un espace, quel qu'il soit - public ou privé, extérieur ou intérieur - influe-t-il sur la pratique d'un artiste ? Aussi, si je mène d'un côté une pratique liée à des questions de picturalité et de mise en espace de l'oeuvre, tout un pan de mes recherches se développe au travers d'un travail éditorial, qui lui, trouve sa place tant dans l'espace public (un travail qui fait d'ailleurs sens lorsqu'il est activé lors d'actions de collages sauvages, de distributions ou d'échanges), que dans une pratique éditoriale plus "traditionnelle", qui se passe, elle, du côté du livre et du "mail art". En parallèle à ma pratique artistique s'est très rapidement manifestée l'envie et le besoin de travailler avec d'autres artistes et auteurs, ce qui m'a naturellement amené à développer une recherche curatoriale. Dès mes premiers projets en tant que curator, j'ai fait le choix de travailler à partir d'un espace modeste, connu de tous et facilement reproductible : une feuille de papier A4 (Kontakt). Si par la suite d'autres projets ont vu le jour (dans l'espace public avec Hors Des Murs, au travers du livre, avec Les Invisibles ou à partir d'une collection privée avec Salon) toute une série de questions se sont rapidement posées à moi : l'invitation, la production, la distribution, la réception… Des questions, qui des années plus tard, me semblent toujours d'actualité et ne cessent de m'animer, en tant qu'artiste mais aussi en tant que curator.

Suite à l'invitation faite par Didier Mathieu à venir en résidence de recherche au Centre Des Livres d'Artistes (CDLA) à l'automne 2017 (entre le 16 octobre et le 13 novembre pour être exact), j'ai de suite voulu travailler sur deux pratiques spécifiques de l'édition, à savoir, l'espace éditorial comme espace curatorial, et l'idée de l'auteur comme producteur de son propre espace. Constituée de près de 6000 oeuvres, la collection du CDLA offre, à qui éprouve un quelconque intérêt pour l'édition d'artiste, des possibilités de recherches infinies. Aussi, dès le début de ma résidence, j'ai souhaité mener une recherche sur un modèle empirique : explorer chacune des boites d'archives pour découvrir les oeuvres de la collection et me laisser surprendre par celles-ci afin de ne pas trop orienter mes recherches vers des pratiques éditoriales dont je connaîtrais déjà l'existence. Aussi, et ce dès le début de la résidence, j'ai mis en place un protocole de travail simple, qui m'a permis de mener une recherche sur les différentes formes et enjeux que chacune de ces notions pouvaient créer - la première me conduisant alors vers un long travail d'écriture et de mise en place d'un répertoire des " livres/expositions " et la seconde vers une étude des formes mises en place par les artistes pour se créer des espaces de partage propres à leurs pratiques. Cette dernière a donné suite à une exposition construite durant la résidence et présentée au CDLA, The Author as Producer.

Vue sur le plan d'eau d'Arfeuille, Saint-Yrieix-la-Perche, 2017
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Pensée et conçue à partir de Kontakt, un projet éditorial et curatorial que je mène depuis 2012 consistant en l'invitation et la mise à disposition d'un espace A4 recto / verso à un artiste ou auteur, l'exposition The Author as Producer pose la question de l'auteur, de l'artiste, comme producteur de son propre espace de monstration et de partage. Quelle solution éditoriale ce dernier a-t-il trouvé et mis en place afin de donner à sa pratique un espace qui lui serait entièrement dédié ? Une économie de travail ainsi qu'un modèle de pensée que l'on retrouve dans les pratiques du Do It Yourself (DIY) punk des années 1970 / 1980. De ces pratiques, et c'est ce que l'exposition essaie de mettre en avant, ressort la volonté de produire et diffuser rapidement un contenu. En arrière-plan, se pose la question du rapport politique et économique que contiennent ces oeuvres, comme l'envie de résister à un modèle institutionnel qui dicte ses règles par le biais du marché de l'art par exemple. Dans les années 1960 et 1970, les acteurs de l'art conceptuel vont justement s'emparer de l'outil éditorial pour se défaire de ces règles imposées par le marché et créant ainsi leurs propres espaces d'existence et en créant des zones de contact direct avec le public. Peu coûteux et reproductible à l'infini, le livre permettrait alors de sortir l'art de son white cube. Aussi, l'exposition se concentre sur différents types d'oeuvres imprimées (allant de la revue d'artiste, au livre en passant par l'affiche et le tract), toutes produites au cours de ces cinquante dernières années.

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Information est le second projet de recherche que j'ai mené durant la résidence au Centre Des Livres d'Artistes. Ce dernier naît de l'envie de comprendre l'espace éditorial comme espace curatorial. Néanmoins, même si dans mon esprit cette question du " livre exposition " semble claire, j'en suis très rapidement venu à me demander si toute publication ne pourrait pas finalement faire office d'exposition d'un travail, dans le sens où celle-ci montre un objet artistique et/ou un corpus d'oeuvres réunies dans un même espace. De plus, la question de l'éditeur (au sens anglo-saxon du terme : editor), fait également surface, l'editor est-il curator ? Aussi, je fais le choix d'appliquer une règle simple, une méthode de travail que je pourrais appliquer à toute publication, au CDLA, mais également en dehors. Dès lors, je fais donc le choix de considérer une édition comme étant une exposition, à partir des propos défendus dans chacune d'entre elles : dès qu'il est mentionné l'intention de créer un espace d'exposition imprimé, de questionner le rôle de la galerie ou de proposer à l'artiste de considérer la page comme un espace de monstration à part entière, alors le livre peut-être considéré comme étant un "livre exposition", puisque c'était son intention première et non un regard et une réflexion personnelle postérieure à la création de l'objet observé. À partir de l'exploration des collections du CDLA, Information s'est construit autour de fiches individuelles dans lesquelles se trouvent les informations relatives à chacune de ces publications : titre, année, organisateur/curator, nombre d'artistes, nombre de pages, dimensions, type d'impressions et toutes les autres caractéristique qui la définisse. En plus, vient s'ajouter une notice d'explication de l'oeuvre que j'écris selon les informations récoltées.

Si la résidence m'a permis d'avancer dans mes recherches liées aux pratiques éditoriales et curatoriales, celle-ci m'a également permis de me familiariser et de constater l'intelligence des artistes qui, par le biais de l'édition, parviennent à trouver des solutions justes et adaptées à leurs pratiques. Que ce soit dans le cadre d'éditions autofinancées, plus ou moins cheap, ou dans le cadre d'invitations ou partenariats avec des éditeurs aux moyens plus importants, j'ai pu constater que ces artistes se posent en premier lieu la question de la physicalité du support et de la façon dont celui-ci est reçu/perçu par le lecteur/regardeur. Car c'est bien là que se situe sans doutes la plus grande problématique liée à l'édition d'artiste. Qu'elle soit considérée comme espace d'exposition, de partage, de monstration ou de travail, pratiquer l'édition d'artiste, c'est repenser la façon dont le livre (tout comme le flyer, la carte postale, l'affiche…) est traditionnellement appréhendé, pratiqué et construit. Une conception du livre qui revient alors à s'attaquer directement à l'architecture de ce dernier et à considérer ses pages comme des espaces à part entière. La page n'est plus considérée comme un support sur lequel est imprimée une image ou un texte, la page est un espace qui contient en lui-même ses propres contraintes. Dans The New Art of Making Books, un texte écrit en 1975, Ulises Carrión s'attache à redéfinir la pratique du livre dans le cercle littéraire de l'époque. Il considère que le livre a désormais changé et parle de vieux livres (old books) lorsqu'il fait référence aux pratiques littéraires passées et de nouveaux livres (new books) lorsqu'il est question de la littérature contemporaine. Pour lui, et il l'affirme dès la première ligne de son texte : « le livre est une suite d'espace. » Une phrase qui pourrait sembler anodine mais qui pourrait également être perçue comme manifeste à toute pratique éditoriale.

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