Œuvres dans l'espace public
Jean-Marc Lacaze

Woya Shi Havi

Commande publique, Décembre 2017 / Juin 2018
Mayotte / Route du Maïdo, Saint-Paul

« Woya Shi Havi, c’est une fresque en polyptyque éclaté aux quatre points cardinaux de Mayotte et jusqu’au cœur de La Réunion, imaginée par les artistes Jean-Marc Lacaze, Mégot et Papajan.
Woya Shi Havi nous parle de nous, d’ici et d’ailleurs : de métissages, d’influences culturelles et de flux migratoires qui jusqu’aujourd’hui continuent de façonner les paysages et les identités plurielles de nos îles.
Fruit d’échanges avec habitants, acteurs locaux, chercheurs - historiens et archéologues, à la rencontre de peuples et d’histoires, elle fait écho aux difficultés, aux richesses et aux espoirs du ‘vivre ensemble’ au sein d’un même territoire. »
Cheminement(s)

« La création artistique contemporaine est un outil pour dire le territoire autrement. Cette approche de l’œuvre médiatrice, Cheminement(s l’expérimente depuis plusieurs années à travers divers actions et évènements qui cherchent la mise en lien de populations avec leur environnement. Le projet Woya Shi Havi transforme l’essai à nouveau en faisant le pari, à travers une opération ambitieuse qui met en regard des territoires mahorais et réunionnais et leur(s) histoire(s), de poser des artistes en production au cœur d’une situation de rencontre. »

« Dire le territoire autrement »

« Le street art fait partie de ces mouvements artistiques qui souhaitent rapprocher l’art de la vie, du quotidien, des gens. En s’installant dans l’espace public, l’œuvre s’offre au passant, à l’habitant du quartier, aux habitués des lieux, et instaure un nouveau rapport entre l’art et le spectateur. La présence visuelle du travail artistique dans un environnement connu crée un sentiment de surprise et amène le passant, l’habitant, l’habitué des lieux à poser un nouveau regard sur ce territoire qu’il vit au quotidien.

Si le street art s’est plutôt développé dans des espaces urbains, notamment à La Réunion qui peut se réjouir d’être dotée d’une scène artistique riche en la matière, le projet Woya Shi Havi a choisi pour notre territoire un environnement rural, Petite France, joyeuse occasion de mettre en valeur le patrimoine des hauts de l’ouest de La Réunion. Les fresques ont été réalisées dans le cadre de deux résidences de 15 jours durant lesquels Jean-Marc Lacaze, Mégot et Papajan sont restés en immersion dans les paysages qu’ils ont traduits en images, s’imprégnant des atmosphères et se nourrissant des rencontres qu’ils ont pu faire avec les habitants.

Aventure artistique et humaine, le projet Woya Shi Havi souligne l’importance de ce rôle de « passeurs » qu’endossent les artistes, il souligne aussi la nécessaire présence des médiateurs gravitant autour d’eux pour rendre tangibles les heureuses connexions qui s’établissent entre les hommes et les territoires à travers la création. »

Céline Bonniol
Présidente de l’Association Cheminement(s)

UNE RENCONTRE ENTRE TROIS ARTISTES

« Woya Shi Havi s’inscrit dans la continuité du travail mené par Jean-Marc Lacaze lors d’une série de séjours et d’interventions à Mayotte - ciblant spécifiquement le motif et la charge historique, identitaire et culturelle qu’il contient. Dans la continuité également de sa rencontre et de ses échanges avec l’artiste street art Mégot - spécialiste des traces et empreintes « ancestrales » à l’origine du monde et à géométries variables, et des échanges menés enfin avec l’artiste Papajan, street artiste militant résident de Mayotte. L’œuvre est ainsi le fruit d’une production à 6 mains construite d’échanges et d’entrelacements, croisant les champs lexicaux et vocabulaires plastiques de ces trois artistes. »

INTENTION

« Les lignes, les figures, les formes et les couleurs, bases de travail de tout artiste plasticien, forment un langage imaginaire à la fois abstrait et universel. Certains street artistes déclinent des grammaires visuelles dans l’espace urbain chargé d’histoires, alliant les fonctions décoratives aux messages citoyens ou militants, entre autres récits des rapports humains.

Le propre de l’art réalisé dans la rue, en plus de s’adresser à tous en habitant l’espace public pour le sublimer, le questionner ou le « faire parler », est aussi de traverser les frontières, rencontrer l’ailleurs et se répandre sur les parois du monde.

Woya Shi Havi prend la forme d’une fresque croisée, dispatchée en plusieurs « panneaux » sur différentes zones géographiques symboliques, visible aux extrémités Nord, Sud, Est et Ouest de Mayotte et sur les hauteurs d’une route reliant la mer au cœur des cirques de La Réunion.

Elle se présente alors comme une œuvre à relier par les pas, le regard, la parole et la mémoire de ceux qui les traversent, et opère ainsi des traits d’union entre plusieurs points d’Histoire et d’éclatements, de départs ou d’arrivées, d’explorations, de conquêtes ou de fuites, requestionnant l’idée même de frontières et d’insularité et rendant compte des liens étroits existants entre nos deux îles sœurs.

Prenant forme au sein de résidences d’études et de production, mais aussi d’écriture et de médiation - l’enjeu de ce projet réside avant tout dans le partage et la traduction visuelle des recherches, recueils de paroles, de souvenirs et de témoignages à la fois scientifiques, empiriques ou ésotériques, et autres fouilles « expérientielles » opérées par les artistes sur ces différents territoires d’interventions.

L’ensemble de ces fresques, présentées sous forme de planches de recherches ou carnets de croquis muraux, rend ainsi compte d’une histoire forcément parcellaire, en partie imagée, à la fois réelle et fantasmée. Mais aussi d’une certaine mémoire retraçant les origines multiples du peuplement de Mayotte et de La Réunion comme sources de leur grande diversité, qu’il s’agit moins de stigmatiser que de continuer à construire et à enrichir. »

Leïla Quillacq

La Réunion, au cœur d’une île : entre visible et invisible

« La continuité de ce travail sur La Réunion consiste avant tout en un échange avec un artiste mahorais, Papajan. C’est signifier une présence de la culture comorienne dans la diversité réunionnaise. Woya Shi Havi Mayotte nous ayant permis de trouver un mode d’écriture plastique à 6 mains, la fresque du Maïdo à La Réunion prolonge cette mise en forme, avec un fond historique et culturel propre au lieu. De la forêt primaire, lieu de dissimulation pour les Marons et espèces endémiques, à la colonisation de cette forêt pour une survie économique, le Maïdo représente cette route entre le domaine Desbassayns jusqu’à l’entrée du cirque de Mafate. Appréhender la citerne, support circulaire, avec une face visible de la route et une face cachée, c’est jouer sur l’histoire, sur ce qui est facilement connu et retenu du lieu (la Glacière, la culture du géranium, les essences cultivées, les ti bon dieu, les charbonnières, M. Lougnon…) et une partie plus méconnue, difficilement détectable et à préserver (l’histoire et traces du maronnage, les espèces endémiques à protéger, les secrets à garder). »

Jean-Marc Lacaze

LA RÉUNION

« La fresque de La Réunion est la résultante de nos rencontres avec les gens de Petite France et du Maïdo, les scientifiques, les responsables du Parc National, et les associations locales. Nous avons été réceptifs à leurs préoccupations, leurs actions et leurs démarches.

Toutes ces informations ont créé un corpus dans lequel, nous, artistes, sommes allés piocher. Nous avons réalisé qu’il y avait une histoire très concrète avec des marqueurs et témoignages palpables, et une histoire enfouie, secrète, presque invisible.

De même nous avons été sensibles à la faune et la flore locales, les espèces endémiques, les espèces indigènes, les espèces cultivées et les espèces envahissantes. Nous avons donc réalisé une fresque en 2 parties où, si l’on ne s’arrête pas, nous n’avons pas accès à la partie cachée.

Il était aussi important de rendre ce travail plastique accessible en le liant intimement au lieu afin d’inclure les habitants. Il s’agissait aussi de sortir le « street art » de sa connotation « graffiti », « tag » et « art urbain ».

Un réel travail de médiation a été réalisé pour cela en amont, durant et en aval de la réalisation de l’œuvre. Travail aussi important que l’objet artistique, afin que les habitants deviennent eux-mêmes les passeurs et les garants de ce geste. »

Jean-Marc Lacaze