Provence-Alpes-Côte-d'Azur

Charles Gouvernet

Né⋅e en 1946

Vit et travaille à Marseille

Avec Charles Gouvernet la peinture est un sport de combat. Avant le pinceau, le fusain ou sa main, sa première arme est celle qui le tient debout : une paire de Converse réputée pour sa semelle caoutchoutée. Elles ne réprésentent pas un homme décontracté ou nostalgique d'une jeunesse recherchée. Mais plutôt le vivace, l' infatigable, le pugnace, le fougueux face au redoutable adversaire qu'est le doute. Dans cette confrontation sempiternelle l'artiste choisit d'attaquer à coup de matériaux et touches multiples. Au cours de cette lutte qu'il sait toujours laborieuse, il désaxe son adversaire par une conversion organisatrice où l'expression plastique dévoile une forme unique d'unité des contraires.
Dans ses oeuvres, la transparence semble défier l'opacité, le végétal le disputer au viscéral, les ténèbres au Céleste, l'industrie du jouet au charnel, le plâtre au velours synthétique, la calamité à la providence. Le degré de concentration de toutes ces petites perceptions disparates sur la surface des toiles se lie et se délie, s'agite dans un maelström explosif où l'on est avalé par la chute de la composition. Ça nous dégringole dessus, assommé par une bûche de bois, croqué par un cheval-caiman, carressé par le reste d'un ange gracile, pincé par un crabe arachnéen puis sauvé mystérieusement par un avion.
Son atelier est à la création ce que l'oeuf est à l'embryon. On y croise une incroyable kyrielle d'objets et de matières : des cagettes, des jouets kinders, des boiseries, des milliers de crayons et de pinceaux, du fil de fer, toutes les natures de papiers possible, des tubes, du plâtre, de l'argile, de la quadrichromie noir-verte-blanche-marron disribuées dans des tas de contenants, mais pas de réceptacles pour matériaux condamnés à mort, car pour l'artiste : « la poubelle de l'atelier c'est l'atelier lui même, tout est prétexte à faire quelque chose ». Le peuple du nid fonctionne alors comme un ryzhome familial à l'intérieur duquel les éléments plastiques et graphiques s'encastrent en réseau, se ramifient, se multiplient et se redistribuent depuis une trace protéiforme. Ainsi les variances de verts des peluches se retrouvent-elles à l'orée d'un sous-bois, le kinder avalé revit au travers d'un ange ou d'un organe couleur chocolat alors que les jouets éclos de l'oeuf plastique réaparaissent démembrés sur la toile. Ailleurs les mignonnes panthères se transmutent en ombres inquiétantes, les anges retrouvent leur ailes amputées et les coeurs arrachés se mettent à battre dans l'improbable rencontre affective d'un ange argileu à l'allure vermoulue et d'un élégant doudou recomposé. Ces doudous, il les récolte auprès de son jeune fils. Et il faut les négocier ces peluches sacrées, cela fait partie intégrante du processus de l'artiste. En empruntant à l'enfance ces petits objets transitionnels -mis en scène avec des anges- Charles Gouvernet perfore le temps et l'angoisse de la mort, solidifie l'intouchable et créé une dimension atemporelle du sacré. Ces sculptures bigarrées apparaissent comme une esquive aux assauts du doute tant la turpitude paraît ici neutralisée par l'affirmation de la vie.
Là ou d'autres, groggy de certitudes conformistes ont déjà brandit le poing d'une victoire illusionniste, Charles Gouvernet nous rappel que le vivant reste né d'un ring en forme d'oeuf.
Il aspire à sortir dans la bribe d'un clair obscur, livre ses forces dans l'éclat d'un affect qui ne trouverait sa raison d'être que dans une surnature ou la brisure incertaine se fait pleine.

Elsa Roussel, in monographie, Charles Gouvernet - Se confier à la peinture, éditions Muntaner, 2008