Provence-Alpes-Côte-d'Azur

Caroline Le Méhauté

Né⋅e en 1982

Vit et travaille à Marseille et Bruxelles

Créer en creux

Le labyrinthe des merveilles
Où entre-t-on quand on entre dans ces salles d'exposition ? Dans le labyrinthe des merveilles ou dans un précis des formes ? Doit-on laisser toute espérance ou au contraire trouver des raisons d'espérer et de croire dans le silencieux renouvellement de l'art contemporain ? Si l'on décidait un peu au hasard de circuler librement dans le labyrinthe des merveilles, il faudrait se retourner vers l'antique Dédale et son fils Icare, accablés par les Dieux et les métamorphoses. Comme dans le récit mythologique du vieil architecte et de son fils pris à leur propre piège, il y a ici aussi une histoire de plumes collées là où il ne faudrait pas, mais qui ne risque pas de se perdre par échauffement, qui parle d'un temps mythique où l'air, la terre et l'animal étaient intimement liés. Qui parle aussi de la lutte brutale ou circonvenante contre la matière, quelle qu'elle soit, car il y a beaucoup de matières dans cette traversée. Ce qui permet au spectateur d'accéder à un autre élément dans lequel il passe, mais ne se meut pas (pas encore). Que le creux soit ici le réceptacle de ce qui promet d'accéder au vide débouche sur l'éclosion d'une poésie antinomique car les contraires s'y installent dans des relations complexes mais aléatoires. On ne fera pas l'affront au curieux de suggérer des recoupements qu'il peut faire lui-même. Mais une plate-forme, qui permet à la construction qu'elle soutient de se retrouver quasiment à l'identique sur le sol au-dessous d'elle, fait immédiatement penser aux villes invisibles d'Italo Calvino. « Les villes comme les rêves sont faites de désirs et de peurs, même si le fil de leur discours est secret, leurs règles absurdes, leurs perspectives trompeuses ; et toute chose en cache une autre » (1). Chez Caroline Le Méhauté, toute proposition en cache une autre ou plusieurs. Toute oeuvre recèle en son intérieur son reflet ou son double, ou la possibilité de se retourner comme un doigt de gant. Les formes que l'artiste propose sont souvent des doigts de gant que l'on croit pouvoir retourner, mais quand on les retourne (en esprit, bien sûr) la forme interne n'a plus rien à voir de ce que l'on savait de l'extérieur. C'est la prouesse qu'accomplit Négociation 29 : Je levais les yeux. Un mur uniforme percé d'alvéoles dont on n'aperçoit pas le fond et qui peuvent être terrier, cryptes ou logis troglodytes. Le mystère de ne savoir ni la forme interne ni ce qui s'y cache d'inassouvi nourrit pleinement l'imaginaire. Faire croire à la plongée souterraine d'une pièce formée de tuyaux, c'est laisser imaginer que le sculpteur possède la clef des enfers.[...]

François Bazzoli