Empreinte basale : une archéologie du sensible
« L'art ne vient pas se coucher dans les lits qu'on a faits pour lui ; il se sauve aussitôt qu'on prononce son nom. Ce qu'il aime, c'est l'incognito, ses meilleurs moments sont quand il oublie comment il s'appelle. »
Jean Dubuffet.
Jean Dubuffet, artiste et auteur de vigoureuses critiques de la « culture dominante », voyait dans l’art brut un art « vrai » se manifestant en dehors des sentiers tracés pour lui. L’art « véritable » est alors ce qui surgit par le biais de gestes primaires et dépouillés des apparats d’une culture asphyxiante (Jean Dubuffet, Asphyxiante culture, essai, 1968) : donner forme à l’informe, laisser la matière dicter les gestes, suivre l’intuition du corps.
De l’état premier à l’éclat brut, Xavier Daniel explore ce mouvement particulier, guidé à son tour par les gestes de celles et ceux à qui il prête matière : de la terre, modelée dans leurs mains tordues et contorsionnées, brisées par la vie, qui deviennent ici - dans l’expérience sensible - outils de création. Indociles et indomptables, elles sculptent des formes élémentaires, singulières et imprévues, empreintes de tremblements, de fêlures, d’accidents et de fugues.
De gestes incontrôlés en malléabilité soudaine apparaissent alors des formes inédites, intimes et vulnérables ; comme des trésors irréguliers, comme des vestiges contenant en réserve les traces d’une mémoire enfouie, et autant de récits tenus aux secrets.
L’artiste, lui, dans une démarche exploratoire, fouille, exhume et transpose. Il accompagne les gestes vers cette vision aiguisée de l’imaginaire logé dans le réel, qui consiste à voir l’art là où il éclot : dans ces formes informes et silencieuses devenant paysages, ossements, pétales, totems... Mais aussi peut-être, de façon transitionnelle, objets rares, uniques ... et précieux.
Leïla Quillacq