île/mer/froid

Carnet de résidence
buron de l'ermitage, à Brezons
June 2024

Résidence de recherche

Formé en 2014, île/mer/froid est la pratique artistique collective qui réunit Hugo Lemaire et Boris Geoffroy. En élaborant des récits alternatifs pour lesquelles sont convoqués matières premières naturelles et renouvelables, matériaux de récupération, gestes et techniques premières qu'ils mettent eux-mêmes en œuvre, leur travail interroge son écologie propre, et questionne les modes de vie et les systèmes de production contemporains. Puisant à la fois dans les savoirs vernaculaires, les arts populaires, et les formes et matières qui les environnent, leur pratique se situe et se développe dans le paysage.

En juin 2023, île/mer/froid débute sa résidence de recherche au buron de l'ermitage, à Brezons, commune située sur le versant sud du plomb du Cantal, dans le cadre d'un projet d'installation pour l'édition 2024 de la biennale de Saint-Flour. Le cadre particulier de cette résidence, excluant de fait la réalisation de pièces, à amené les artistes à repenser leur procédé de recherche et de création, en revenant notamment à la pratique du dessin, avec des allers-retours entre les hauts plateaux cantaliens et l'atelier. 


Le Réseau documents d'artistes propose alors a île/mer/froid de concevoir un carnet de résidence pour donner à voir leur travail de recherche.  Les artistes livrent ici un aperçu de leurs carnets, des notes et des intuitions, des embryons de formes qu'ils recèlent. Les pièces qui seront ensuite produites à l'atelier en Aveyron et installées à Saint-Flour et à Brezons viendront alimenter ce récit, au fil de leur réalisation.


Photographie au buron de l'ermitage, à Brezons © Île/Mer/Froid

Situé à l'extrémité de la vallée dans laquelle s'étendent les hameaux, au bout de la piste de basalte, l'ancien bâtiment d'estive nous a accueillis soixante jours, immergés dans l'épaisse forêt de hêtres traversée de torrents, aux portes du cirque de Grandval, l'alpage qui s'étend jusqu'aux crêtes et qui surplombe le paysage.

Pour une pratique collective comme celle d'île/mer/froid, qui revendique la production comme ressort de dialogue, et qui de ce fait a besoin de gestes et de manipulation, ce contexte a été complexe à appréhender. En effet, la piste rend difficile l'acheminement de matériaux, les différents bâtiments, réhabilités en lieux de vie, ne se prêtent pas à l'installation d'un atelier, et les orages quotidiens rendent compliquée toute installation extérieure. On vit et on travaille en haut avec ce qu'on y trouve et le peu qu'on y amène. Il faut y être légers, trouver l’économie de moyens qui nous permet d'y entreprendre notre travail.

La conception même d'une période de recherche dissociée de la réalisation de pièces nous a beaucoup posé question. Nous sommes en effet accoutumés à travailler dans le paysage, à adapter nos moyens aux contextes dans lesquels nous nous installons, mais toujours autour de systèmes de production qui concentrent nos actions, qui donnent corps à notre entreprise commune.

C'est ainsi que le dessin s'est imposé, refaisant surface après des années. Si cette pratique avait été mise entre parenthèses depuis le début de notre aventure collective, en 2014, c'était justement au profit d'espaces, de formats, de gestes, de matériaux qui nous permettaient de nous approprier collectivement le travail. Dessiner sur le motif nous a permis de développer une collecte des formes qui peuplent les sentiers, les bois et les prés, les rochers monumentaux flottant dans les pâturages, les corps tortueux et boursouflés des hêtres et des châtaigniers.

Pour nous, cette étape se situe dans le champs de la recherche. Le carnet est un journal, qui rend visible les allers-retours entre l'observation et les projections, et où on voit déjà se former les sculptures. Le dessin d'observation, réalisé sur le motif, est une expérience intime, d'immersion dans les lumières, les matières et les formes qui nous environnent. Les croquis de recherche, comme ceux des trognes, sont quand à eux des éléments de discussion entre nous, par lesquels on détermine les formes à entreprendre à l'atelier.

île/mer/froid


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Sur le point chaud

S'il faut construire un four, retaper une archaïque boudineuse ou refaire un toit pour abriter l'ouvrage en cours, ces activités font partie intégrante du boulot, dans ce temps du long maintenant. Il ne peut pas y avoir d'urgence puisque les rencontres avec les choses, les paysages et les gens se font au rythme naturel. Les troncs d'arbres inspirent des céramiques, les fleurs, feuilles, racines et écorces produisent des couleurs sur de grands draps, les terres et les pierres broyées révèlent leurs teintes à la cuisson, les poudres minérales et les cendres, portées à haute température, fondent avant de vitrifier. Ce qui se produit se produit. Il n'y a pas de formes brutalement préconçues. Ils dialoguent avec les éléments, écoutent ce qu'ils travaillent. Et c'est la qualité de cette rencontre qui déterminera celle de la pièce finie. C'est une recherche d'émancipation active et adaptable, d'autonomie de décroissance, ne pas dépendre de quoi que ce soit.

C'est un paysage minéral de basaltes et phonolites, couvert sur les pentes du Plomb de profondes hêtraies. Le massif volcanique finit de s'édifier il y a quatre millions d'années. Puis il est rongé par les intempéries et les glaciations jusqu'à la dernière, il y a vingt mille ans. Elle a laissé des traces... des drumlins en forme de dos de baleine allongées, reliquats d'anciennes moraines transportées par les glaces.
Sur les pentes du Plomb, les pâturages d’estive sont un aplat vert émeraude clair au printemps où quelques burons dérivent, affleurent comme les cristaux de staurotides surgissent des gneiss. C'est là, dans un de ces burons aux portes du cirque, qu'ils se sont établis.
Sur les bords de chemins et dans les prés se dressent des trognes, souvent des frênes, émondées pour produire des rejets qui seront transformés en piquets, en fagots et en fourrage. En été ils prodiguent une ombre épaisse pour les bêtes. En hiver, ils ne sont plus que des troncs couverts de boursouflures, cicatrices des coupes et trous utiles aux oiseaux.

Dans l'atelier, les pièces façonnées à la main au colombin s'élèvent peu à peu, hautes d'un peu plus d'un mètre, à l'échelle du bras, faites d'accidents et de rehauts. Le vocabulaire pastoral du forestier s'enrichit de celui du potier. La mémoire de formes usuelles, bols, cols, becs ou anses vient se greffer sur celles du végétal, nœuds, rejets, écorces ou racines. Séchées, puis cuites dans le four qu'elles étrenneront, elles seront émaillées avec la lave du volcan, pour un glacis noir corbeau.
Il y a dans ces trognes des rêves d'Alice, période vache de Magritte, des choses marines, des paréidolies insensées, des difformités attachantes que nos mains caressent comme pour calmer la colère. Les choucas et les buses en feront sans doute des pieux de veille...

Philippe Saulle, Sur le point chaud, commande pour la résidence, 2023.


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