(Mur 127)
Production : IUT de Rennes, département Génie Civil - Construction Durable. Avec le soutien du Service culturel de l’Université de Rennes 1, de Point.P, de SARC et la participation du département Génie Mécanique et Productique pour la réalisation des Parpaings-fils. Commande de l’Université de Rennes 1 suite à la résidence -hexakis de Laurent Duthion pour les 50 ans de l'IUT de Rennes
(Mur 127) est une œuvre qui résulte d’un processus de production inhabituel. Conçue par Laurent Duthion, l’œuvre est constituée d’un appareillage de Parpaings-fils qui est lui-même une œuvre sous forme d’un multiple réalisée dans le cadre d’une résidence artistique pour les 50 ans de l’IUT de Rennes. Ces modules constructifs obliques ont été produits par les équipes du département Génie Civil – Construction Durable (GCCD) composées d’étudiants et de personnels techniques avec des moules dont la conception et la réalisation ont été assurés par une équipe du département Génie Mécanique et Productique (GMP). C’est une fois les premiers prototypes réalisés, puis les premiers Parpaings-fils démoulés, que l’idée de prolonger la résidence s’est imposée en vue d’une utilisation effective de ces modules constructifs. La proposition de la réalisation d’un mur simple, sans retour ni renfort visible a rapidement été acceptée par GCCD qui a pris sa réalisation à sa charge technique et financière avec l’aide de ses partenaires. Les études de faisabilité, les calculs de résistance, le tonnage, la résolution des problèmes techniques, les études de sol, la fondation et sa structure, l’élévation du mur et sa finition ont été effectués par les équipes étudiantes, enseignantes et techniques du département.
La résidence artistique initialement prévue durant l’année scolaire 2016-2017 s’est prolongée jusqu’au 4 juin 2019, date de l’inauguration de (Mur 127).
Laurent Duthion, un artiste zéro-gravité
par Doriane Spiteri
Laurent Duthion est un expérimentateur, un aventurier. Artiste chercheur et indiscipliné, il met en avant l’expérience, crée des échos, génère des résonances. Dans son recueil Pourparlers, Gilles Deleuze écrivait « […] Ce qui m’intéresse, ce sont les rapports entre les arts, la science et la philosophie. Il n’y a aucun privilège d’une de ces disciplines sur une autre. Chacune d’entre elles est créatrice. Le véritable objet de la science, c’est de créer des fonctions, le véritable objet de l’art, c’est de créer des agrégats sensibles et l’objet de la philosophie, créer des concepts. […] Comment est-il possible qu’un concept, un agrégat et une fonction se rencontrent ?1 ». Voilà ce qui pourrait qualifier le travail de Laurent Duthion où ces lignes différentes se croisent.
Pour l’anniversaire des 50 ans de l’IUT de Rennes en 2016-2017, l’artiste est invité en résidence par Philippe Dorval, enseignant d’arts plastiques au sein du département Carrières sociales. En partenariat avec le Frac Bretagne, Laurent Duthion devait concevoir un projet spécifique avec chacun des départements de l’IUT. Toujours en quête de nouvelles sources, de nouveaux horizons, ce lieu où de nombreuses disciplines se rencontrent offrait à l’artiste un laboratoire de recherche, un véritable espace de production permettant de démontrer une fois encore sa capacité à naviguer entre les savoirs et les disciplines. En 2017, avec le département Chimie, il réalise Approximation sagittaire, un cocktail sous la forme d’une « sphérification moléculaire ». Avec le département Gestion des Entreprises et des Administrations il produit X-Layer, une sorte de teaser de la résidence. Une proposition de drapeau de l’université Rennes 1 intitulé Newt, ainsi que la manifestation quantique Je suis quantique par nature, sont mises en œuvre avec le département Carrières sociales. Pour finir, il élabore avec les départements Génie Mécanique et Productique et Génie Civil – Construction durable l’œuvre Parpaing-fils, un parpaing en béton fibré incliné à 37° et à 127° par rapport au sol. Cette dernière constitue la troisième œuvre inclinée de l’artiste après Transsubstantiation etc. (2010-2012), un livre déformé proposant une transposition science-fictionnelle d’une partie du Nouveau Testament et Protection (2014), une caisse de transport en bois inclinée d’une trentaine de degrés.
C’est le projet Parpaing-fils qui est prolongé pour la création du (Mur 127) de trois mètres de long sur deux mètres de haut incliné, qui se dresse tel un OVNI sur une pelouse de l’IUT. Pouvant être considérés comme un hommage à Claude Parent, architecte étant allé à la conquête du plan incliné, ce mur penché et le parpaing qui en est la genèse partent avant tout d’une information spécifique : celle de l’angle zéro-gravité. Cet angle à 127° par rapport au sol est la posture adoptée par les astronautes de la NASA lors de la mise à feu au décollage. Cet angle d’assise permettrait alors de supprimer les tensions de la colonne vertébrale, diminuer la pression et la gravité sur le corps. Utilisé par la NASA, il est également présent au sein de l’espace 127, la classe Affaires des avions Air France et serait la position confortable pratiquée par les adolescents. Il s’agira dès lors pour l’artiste de réaliser un mur à 127° par rapport au sol. Ainsi lorsque le mur, le sol et le corps se rencontrent, ils agissent les uns sur les autres et engendrent une modification de la perception. Des prototypes de Parpaing-fils ont d’abord été édités comme des sculptures en béton, des œuvres indépendantes numérotées et signées. La conception avec les étudiants des deux départements a pris du temps. Pour réaliser un parpaing à 37°, il fallait abandonner le parpaing français à six alvéoles et privilégier le parpaing américain à seulement deux alvéoles pyramidales. Il fallait ensuite trouver la composition finale du béton : plein, fibré et conçu à partir de ciment pour pont. Tous les jeudis après-midi, l’équipe s’est attelée à cette tâche : résolution des aspérités en surface, du souci de ségrégation, de l’homogénéité du béton. Pour la réalisation du mur, il était nécessaire de concevoir deux types de parpaings : le parpaing-fils et le demi parpaing-fils.
Avec ce mur, Laurent Duthion « engendre un lieu »2 tel que défini par Carl Andre lorsqu’il plaçait des lignes de briques au sol. Comme un objet partiel, pouvant être perçu comme une ruine ou le début d’un chantier, (Mur 127) a vocation à être approprié, à vieillir, être recouvert de lichen créant ainsi une typologie non humaine, une œuvre où les intentions de l’artiste se perdrait progressivement. Vito Acconci déclarait : « L’idée d’in situ (site specificity) – faire quelque chose qui soit conçu spécialement pour un endroit particulier – […] n’affirme aucune prétention à l’universalité. C’est une manière de dire que cela signifie quelque chose ici et maintenant. Ailleurs et en d’autres circonstances, cela ne signifie rien ou cela signifie quelque chose de très différent3. » Laurent Duthion élabore un art résolument tourné vers l’autre, il touche à une nouvelle manière de constituer le champ de l’expérience. Dans un effort pour toujours transgresser les délimitations entre les différentes formes d’arts, les différentes disciplines, il fait apparaître cette expérience dans un environnement quotidien. L’œuvre célèbre ce qui a lieu dans le présent et porte en elle-même les marques de l’aventure.
1. Gilles Deleuze, Pourparlers, 1972-1990, Les éditions de Minuit, 2003.
2. Carl André, cité par Gilles Tiberghien, Land Art, Paris, Éditions du Carré, 1993, p. 87.
3. Claude Gintz, Vito Acconci. « L’impossible art public », Art Press, février 1992, p. 12.
Remerciements :
Laurent Duthion remercie les nombreux étudiants, personnels techniques et administratifs, enseignants de l’IUT de Rennes qui ont mené à bien le projet (Mur 127) et notamment Guy Bianeis, Matthieu Machard, Didier Bliard, Vincent Cussonneau, Jérôme Sarciat, Marjorie Bart, Kelly Olivier, Aurel Béduchaud, Tanguy Pilard, Mélanie Lemaile, Marie-Luce Pélisson, Emmanuel Biguet, Yann Monnier, Maëlle Fajolles, Clément Benoist, Ewen Dion, Camille Guillemot, Glenn Le Coz, Noémie Leguay, Wendy Audureau, Julien Clech, tous membres de GCCD. Il remercie également l’équipe du département GMP dirigée par Pierre Michelutti pour la réalisation des moules, le directeur de l’IUT de Rennes, Gilles Le Certen, et Marie-Aude Lefeuvre pour avoir soutenu cette proposition. Un grand merci à Philippe Dorval pour son engagement tout au long de ce projet et à Jean-Lin Roy sans qui (Mur 127) n’aurait sans doute pas eu lieu. Merci aussi à la NASA, aux adolescents, à Marion Montaigne et à Claude Parent.